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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/318

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Mais s’il ne peut me venir à l’idée que, même au temps de sa jeunesse, Washington se soit jamais préoccupé de cette question assez oiseuse, je me rends compte, au contraire, de l’intérêt qu’il a dû prendre à tout ce qui regardait la mère patrie, durant les longues années de sa liaison étroite et affectueuse avec son frère, Lawrence Washington. Lawrence, vous le savez, avait été envoyé en Angleterre, à l’âge de quinze ans, pour y compléter son éducation, et il en était revenu, après six ou sept ans de séjour, « gentleman accompli ». Vous savez aussi de quelle affection, plus que fraternelle, Lawrence a aimé son glorieux demi-frère, et que cette affection lui était payée largement de retour. Je m’imagine que Georges Washington a dû beaucoup entendre parler de cette Angleterre qu’il ne devait jamais voir lui-même. Et certes, il ne songeait guère alors qu’un jour viendrait où il serait le principal instrument de la séparation politique de sa seconde et de sa première patrie.

On ne peut en effet douter que, non seulement pendant sa jeunesse, mais jusqu’à la veille même des événemens où il allait être appelé à jouer un si grand rôle, Washington, comme la plupart de ses contemporains, n’ait gardé pour la mère patrie ce sentiment d’affection traditionnelle que traduit si bien notre mot de home. Il nourrissait, depuis plusieurs années, c’est lui-même qui l’a écrit, « le désir impatient de visiter la grande métropole de l’Angleterre ». Et pour lui, comme pour la plupart de ceux qui devaient un jour tourner leurs armes contre elle, l’Angleterre était bien réellement la « mère patrie ». Mais la sincérité de ce sentiment ne put prévaloir contre l’idée que Georges Washington se faisait de la justice. Et quand les nuages qui s’amoncelaient à l’horizon vinrent enfin à éclater entre l’Angleterre et les colonies, c’est du côté des colonies que le rangèrent aussitôt ses plus chères et ses plus fermes convictions. S’il mit d’ailleurs moins d’ardeur que d’autres à se déclarer le partisan ou l’adversaire de la mère patrie, c’est qu’il était soldat ; c’est qu’il savait ce que la guerre traîne de maux après soi ; c’est qu’il avait des raisons, que n’avaient point « les civils », pour hésiter devant la décision qui allait précipiter son pays dans les horreurs d’une lutte fratricide. Mais une fois le combat engagé, et quelle que fût la fortune des armes américaines, son courage ne devait pas faiblir ; et pas un jour, durant cette longue lutte, qu’il put craindre un moment de voir se terminer par l’assujettissement définitif de son pays,