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on ne vit Washington désespérer de sa cause. Il était décidé plutôt à quitter les colonies pour toujours qu’à jamais subir de nouveau le poids du joug anglais. Et on a pu dire à bon droit que la fière devise dont les Espagnols ornaient jadis leurs lames de Tolède eût dû en toute justice et toute vérité être gravée sur son épée : « Ne me sors jamais sans raison, ne me rentre jamais sans honneur. »


Si maintenant, jetant un regard en arrière, nous parcourons les cent années qui viennent de s’écouler, la mère patrie ne saurait méconnaître elle-même qu’en séparant l’Angleterre de ses colonies américaines, la mystérieuse puissance qui préside aux destinées de l’homme nous a conduits aux plus bienfaisans résultats. Il fut un temps, je m’en souviens encore, où de ce côté-ci de l’Atlantique, on discutait la question avec autant d’ardeur passionnée qu’on en avait mis jadis à discuter le droit que les colonies s’attribuaient de rejeter le joug de la métropole. En ce qui me concerne, et en me plaçant au point de vue anglais, je n’éprouve, ni sur l’une ni sur l’autre de ces questions, la moindre hésitation. Et, tout en regrettant en principe l’erreur, l’étroitesse d’esprit du gouvernement du roi Georges, je ne puis m’empêcher de me féliciter, en songeant qu’après tout nous lui devons d’avoir vu se résoudre, avant la fin du dernier siècle, un problème dont la solution, en des temps postérieurs, eût été bien autrement difficile, et la position même bien autrement compliquée.

A peine ai-je besoin de rappeler ce que les Américains comprennent sans doute bien mieux que les Anglais : les gigantesques enjambées grâce auxquelles les Etats-Unis sont devenus une puissance de premier ordre ; la transformation complète en un siècle d’un désert immense en un pays où prospère l’industrie ; le développement des facultés inventives de l’homme arrivé à un point que l’on pourrait appeler merveilleux. Mais je ne puis surtout me dissimuler combien féconde a été l’influence, combien puissant l’exemple de vos progrès et de vos institutions sur la mère patrie. Et ne pouvant pas croire que l’un ou l’autre de nos pays eût jamais atteint de pareils résultats, si les liens politiques qui les unissaient n’avaient été brisés, c’est ainsi qu’au nom des intérêts de ma nation aussi bien que des vôtres, je puis féliciter les descendans de ceux que l’on appelait les rebelles, des bienfaits dont nous sommes redevables à leur politique patriotique.