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sacrifices, et l’autre le modèle de l’homme d’État sagace, mûri par les années, l’expérience et la méditation, rempli pour la cause de la liberté d’une inépuisable sympathie, et débordant d’une généreuse indignation pour le mépris ou l’oubli que l’Angleterre semblait faire de ses plus nobles traditions.

Je n’ai point, messieurs, à vous parler ici de la carrière militaire de Georges Washington, et j’en viens rapidement aux dernières années de sa vie, lorsque, deux fois élu président de la République américaine, il eut à prendre sa lourde part de responsabilité dans la politique d’un État encore tout enivré de la joie de son indépendance nouvellement conquise. Quoiqu’elle eût en effet acquiescé à cette indépendance, la mère patrie se refusa pendant huit ans à la reconnaître, — comme il est d’usage entre États souverains — par la nomination d’un représentant diplomatique. Il survivait d’ailleurs assez de causes d’irritation pour provoquer un renouvellement d’hostilités. Si ces hostilités n’éclatèrent point, l’honneur en revient pour la plus grande partie à la fermeté et à l’habileté de l’administration du nouvel État sous la direction de Georges Washington. La mère patrie lui est certainement redevable de beaucoup pour la prudence dont il fit preuve au pouvoir, ainsi que pour la fermeté de son caractère. Elle lui en fut reconnaissante ; et je n’en saurais citer de plus éloquent témoignage que celui du ministre d’Amérique à Londres, écrivant à Washington, deux ans avant la fin de sa seconde présidence, à l’occasion du traité de 1794, combien la confiance de l’Angleterre dans le caractère du Président l’avait aidé lui-même au cours de la négociation.

C’est en réponse aux récriminations que souleva aux Etats-Unis la conclusion de ce même traité que Washington a écrit : « Il n’y a qu’une voie droite, qui est en toute occasion de chercher et de poursuivre fermement la vérité. » Et, de fait, l’intégrité de Washington avait produit une si profonde impression sur tous ceux qui s’étaient trouvés en contact avec lui, qu’à la fin de sa carrière présidentielle, au dîner d’adieu qu’il donnait à ses amis les plus proches, Mrs Liston, la femme du ministre d’Angleterre, éclatait en sanglots. N’est-ce pas assez dire que, le premier dans la guerre et le premier dans la paix, le premier dans l’esprit de ses compatriotes, Washington a sa place aussi dans le cœur de la mère patrie ? Oui, nous aussi, nous réclamons le droit d’être fiers de sa mémoire, car, en vérité :