Aussi bien vous souvenez-vous que, non seulement au début de la lutte, mais encore quand elle était depuis quelque temps entamée, les voix les plus éloquentes n’ont pas manqué à la mère patrie pour combattre la politique du gouvernement, et dénoncer l’impossibilité de mener heureusement à fin la tâche qu’il avait entreprise. Il n’est personne de vous qui ne se rappelle à cette occasion le mémorable discours du grand Chatham à la Chambre des lords : « Mylords, s’écria-t-il, vous ne pouvez pas conquérir l’Amérique… Vous pouvez accumuler les dépenses et les efforts ; vous pouvez entasser tout ce qui s’achète ou ce qui s’emprunte de secours ; vous pouvez brocanter avec ces principautés d’Allemagne qui vendent et expédient leurs sujets pour les boucheries d’une puissance étrangère ; mais vos efforts seront en pure perte. Ils le seront doublement ; car ces secours mercenaires dont vous vous appuyez n’auront d’effet que d’éveiller dans les cœurs de vos adversaires un inexpiable ressentiment. Si j’étais Américain, comme je suis Anglais, aussi longtemps qu’un soldat étranger aurait le pied sur mon pays, je ne consentirais jamais à poser les armes, jamais ! jamais ! jamais ! »
Telles étaient les paroles, tels étaient alors les sentimens du plus illustre et du plus éclairé des fils de la mère patrie. Il ne devait pas réussir à triompher de la politique qu’il attaquait en ces termes, et, à mon avis, son échec fut heureux… Mais ces paroles n’en demeurent pas moins dans notre souvenir la généreuse expression d’une sympathie que les partisans de la politique du gouvernement pouvaient bien qualifier d’attentatoire à la majesté du prince, mais dont il est plus vrai de dire qu’elle était en entière harmonie avec les plus glorieuses traditions de notre histoire. Si Washington était la personnification du patriotisme sincère et modeste, Chatham était, lui, l’incarnation d’un patriotisme non moins sincère et non moins heureusement inspiré ; et si sa voix n’a pas trouvé d’écho parmi les conseillers d’un monarque à qui l’on faisait imprudemment encourir l’accusation de tyrannie, c’est lui pourtant qui avait raison quand il rappelait que l’esprit qui soulevait les Américains était le même qui jadis avait animé l’Angleterre à la conquête de ses libertés.
Elles dominent tout aujourd’hui sur la rive orientale et sur la rive occidentale de l’Atlantique, les figures de ces deux patriotes dont l’un fut le type même du soldat calme et réfléchi, pénétré du sentiment de la justice de sa cause, et prêt pour elle à tous les