Liebig n’hésitait pas ; il l’attribuait aux prélèvemens incessans de potasse qu’entraîne la culture de la betterave. On sait, en effet, que les sels de cette base contenus dans les racines passent dans les résidus de la fabrication du sucre, dans les mélasses ; que celles-ci, après transformation en alcool du sucre qu’elles renferment encore, laissent, par évaporation et calcination, des salins renfermant toute la potasse puisée dans les champs, et que cette potasse enfin, loin d’y revenir, est vendue au commerce des produits chimiques.
Une objection néanmoins se présentait aux esprits non prévenus ; si la culture de la betterave entraîne l’appauvrissement sensible du sol en potasse, son épuisement même, on ne comprend pas pourquoi cet épuisement se traduit seulement par un changement de composition de la racine et non par une diminution dans le poids de la récolte elle-même ; ce que n’aurait pas manqué d’amener la disparition d’un élément nécessaire à la végétation comme lest la potasse. Or, tandis que les fabricans exhalaient leurs plaintes, les cultivateurs continuaient à conduire aux sucreries, à pleins chariots, leurs mauvaises racines.
L’assurance de Liebig avait fini cependant par convaincre la plupart des incrédules, quand une découverte inattendue permit de soumettre ses idées théoriques au criterium de l’expérience. En 1864, on reconnut à Stassfurt-Anhalt, en Allemagne, l’existence d’un immense gisement de sel gemme portant à sa partie supérieure d’épaisses couches de sels de potasse et de magnésie. Du coup, la potasse entra dans les formules d’engrais d’où jusqu’alors l’avait exclue son prix élevé. Aussitôt que les engrais de potasse furent mis en vente, je disposai au printemps de 1866 des cultures de betteraves sur lesquelles ils furent essayés… L’échec fut complet ; je constatai avec un profond étonnement que ces sels de potasse n’avaient exercé aucune action, ni sur la quantité ni sur la qualité des betteraves récoltées. En 1867, les résultats ne furent pas meilleurs, et les essais tentés par plusieurs autres agronomes dans diverses régions de la France ne réussirent pas davantage. Il fallut en conclure que la plupart des terres cultivées sont assez riches en potasse, pour que l’addition de nouvelles quantités soit inutile ; il fallut en conclure surtout que ce n’était pas à l’épuisement du sol en potasse qu’était due la mauvaise qualité des betteraves portées aux sucreries.
Plusieurs années se passèrent pendant lesquelles les rapports