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suivre et à expliquer. Ce n’était, bien entendu, qu’au fur et à mesure de l’achèvement en France d’un outillage d’un certain ordre que nos compatriotes cherchaient à en doter ensuite les pays étrangers. Il est plus aisé de travailler chez soi qu’au dehors, et ce n’est que sous l’influence de la nécessité de trouver un emploi plus rémunérateur à un capital d’épargne et d’intelligence que nous sommes allés construire des voies ferrées, des ports, exploiter au loin des mines, que nous nous sommes chargés de régies financières pour compte de gouvernemens étrangers, que nous avons souscrit à leurs emprunts. D’autres considérations ont pu s’y joindre : le désir par exemple de diviser les risques inhérens à tous emplois de sa fortune, en les répartissant dans un grand nombre de pays. En ces derniers temps, certaines menaces d’inquisition financière, des projets d’impôts vexatoires et tracassiers, ont poussé nombre de Français à mettre à l’abri du fisc une part de leur avoir, indépendamment de toute recherche d’augmentation de revenu, et dans la seule intention de défendre une fraction de leur capital contre une spoliation illégitime. Nous n’avons pas besoin de dire qu’autant nous approuvons l’expansion heureuse d’une puissance financière qui a besoin d’un théâtre plus vaste que le sol indigène pour s’exercer, autant nous déplorons cette émigration secrète de capitaux. Mais ceux qu’il faut ici dénoncer comme les vrais coupables ne sont pas les pères de famille inquiets qui se préoccupent de conserver intact leur patrimoine ; ce sont les législateurs brouillons et aveugles qui ne voient pas les conséquences déplorables de la facilité avec laquelle ils sont prêts à envisager et à discuter chaque jour un bouleversement complet de nos lois fiscales.

Quoi qu’il en soit, les placemens, ainsi commencés au dehors pendant la Restauration et la Monarchie de juillet, continués avec beaucoup plus d’ampleur sous le second Empire, ont eu des conséquences fort importantes dans notre histoire financière, et nous pouvons ajouter politique, car ces deux élémens paraissent de plus en plus inséparables dans les temps modernes. C’est au fait qu’une partie de notre fortune mobilière était placée à l’étranger qu’a été due la facilité extraordinaire avec laquelle nous avons payé à l’Allemagne la monstrueuse indemnité de guerre de cinq milliards de francs, la plus forte qu’un vainqueur ait jamais exigée du vaincu. Il faut lire le rapport lumineux adressé en 1875 par M. Léon Say à l’Assemblée Nationale sur