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disons professer une politique, car il ne s’agit pas de l’appliquer. Tout se passerait en paroles. On ferait de belles et de généreuses harangues, et on s’en tiendrait là. Les peuples opprimés, les populations révoltées sauraient que la Chambre des députés française est de tout cœur avec eux, ce qui leur procurerait une extrême satisfaction. Ils auraient tort, toutefois, de compter sur un concours effectif de notre part. Des ordres du jour, tant qu’ils en voudraient ! mais s’ils attendaient davantage, ils iraient tout droit à une déception qui pourrait pour eux être amère, si même elle n’était pas sanglante. Cette politique de manifestations déclamatoires, mais de parfaite stérilité pratique, n’est pas la nôtre. Elle s’inspire, inconsciemment peut-être, des souvenirs d’autres époques, où nous avions en Europe une situation prépondérante. Même alors, elle n’était pas bien bonne, mais elle produisait du moins des résultats : il est vrai que nous n’avons pas eu toujours à nous en féliciter par la suite. Aujourd’hui, elle n’aurait peut-être pas les mêmes inconvéniens : elle en aurait d’autres, qui seraient d’étaler devant le monde nos prétentions et notre impuissance. Si nos socialistes espèrent augmenter par là le respect de la France, même auprès des persécutés et des faibles, qui, précisément parce qu’ils sont tels, recherchent la protection de la force, ils se trompent grandement. On comprendrait une politique de recueillement et d’abstention absolus ; elle a pu être convenable pendant un certain temps ; elle ne le serait plus maintenant au même degré ; mais enfin ce serait une politique. Alors, il faudrait rompre comme encombrante et inutile la seule alliance que nous ayons ; et puis, il faudrait nous taire. La moindre dignité conseillerait de renoncer à ces superbes harangues qui font précisément l’orgueil des socialistes. Vivre modestement repliés sur nous-mêmes, sans plus s’occuper de ce qui se passerait autour de nous, deviendrait définitivement notre lot. Est-ce là, encore une fois, ce que veulent les socialistes ? Est-ce là ce que poursuivent avec eux quelques radicaux ? Prétendent-ils nous condamner encore aux abstentions de 1882, qui ont laissé tomber l’Egypte entre les mains des Anglais ? Il n’y a pas trois politiques en présence, il n’y en a que deux : ou le concert européen, avec les obligations qu’il entraîne, avec les lenteurs qu’il impose, avec les difficultés qu’il accepte et qu’il essaie de résoudre ; — ou l’isolement, avec la rhétorique pour consolation, ou pour amusement. Entre les deux, il faut choisir, et notre choix est fait. La France, dans sa glorieuse et active histoire, ne s’est jamais considérée comme une abstraction philosophique ou philosophante. Elle a toujours accepté ou plutôt revendiqué sa part dans les