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ne pouvoir mieux faire que de s’en remettre à Montausier, qui passait pour le plus honnête homme du royaume, et à Bossuet, qui était Bossuet. Ce n’est pas sa faute si ni les nombreux ouvrages composés par Bossuet depuis la Politique tirée des Maximes de l’Écriture sainte jusqu’à l’Histoire universelle, ni les leçons plus rudes de Montausier, ne parvinrent à élever au-dessus du médiocre un prince qui devait vivre « dans la graisse et dans l’apathie ». Sans en jamais rien témoigner (il s’était imposé la règle de parler peu), Louis XIV dut s’en apercevoir et juger son héritier. Aussi ne semble-t-il pas avoir eu un seul instant la pensée de lui laisser la moindre part dans l’éducation de son propre fils, et sur la question si délicate du choix d’un gouverneur pour le duc de Bourgogne, il n’apparaît pas que Monseigneur ait été même consulté.

On lit dans les Mémoires de Sourches à la date du 17 août 1689 : « Ce fut le même jour que le Roi déclara enfin à son coucher qu’il avait choisi le duc de Beauvilliers pour être gouverneur de Mgr le duc de Bourgogne, sans que néanmoins il quittât sa charge de premier gentilhomme de la chambre, ni celle de chef du conseil des finances. Grande et éclatante récompense que sa solide vertu trouvait de ce monde[1]. » « Le Roi, ajoute Dangeau, après le souper de Mme la Dauphine, lui présenta M. de Beauvilliers dans son cabinet, et elle témoigna au Roi qu’il n’aurait pu faire un choix qui lui fût plus agréable[2]. » « Saint Louis n’eût pas mieux choisi, écrivait, d’un autre côté Mme de Sévigné à sa fille[3]. »

Ce choix qui réunissait une approbation aussi unanime, et d’une façon plus générale, la longue et constante faveur de Beauvilliers est une des meilleures preuves que, si Louis XIV a pu parfois se tromper dans son appréciation des personnes, du moins il y apportait des intentions droites, et se déterminait par des motifs élevés.

Paul de Beauvilliers, né le 24 octobre 1648, était le second fils de François de Beauvilliers, premier duc de Saint-Aignan, maréchal de camp, gentilhomme de la chambre du Roi, et membre de l’Académie française. Comme cadet, il avait été d’abord destiné à l’Eglise. La mort de son frère aîné l’avait contraint de renoncer à cette vocation. Il ne fallait pas laisser s’éteindre le nom,

  1. Mémoires de Sourches, t. III, p. 137.
  2. Dangeau, t. II, p. 449.
  3. Lettres de Mme de Sévigné. Collection des Grands Écrivains de la France, t. IX, p. 170.