Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

Le prêtre, jeune encore, dont le nom, dans l’histoire, demeure inséparablement uni à celui du duc de Bourgogne, avait alors trente-huit ans. Il était dans cette phase où déjà les premiers regards de la gloire, « plus doux que les feux de l’aurore », commençaient à se fixer sur lui, et à la douceur de ces regards son âme ne devait pas être moins sensible que celle de Vauvenargues. Nous n’avons pas à refaire ici son histoire. Qui ne sait que, issu d’une de ces vieilles familles de province, anciennes sans être illustres, où se rencontraient, sous l’ancien régime comme de nos jours, avec peu de bien beaucoup de vertu et d’honneur, il avait été, de bonne heure, en sa qualité de cadet, voué à l’état ecclésiastique, sans qu’il apparaisse cependant que la moindre violence ait été faite à sa nature tendre, ardente et un peu romanesque? « Assurément, Monsieur, écrivait-il à son oncle, le marquis de Fénelon, qui l’avait fait entrer au séminaire, si vous pouviez entendre les conversations que nous avons ensemble (il s’agit de l’abbé Tronson, le supérieur de Saint-Sulpice) et la simplicité avec laquelle je lui fais connaître mon cœur et avec laquelle il me fait connaître Dieu, vous ne reconnaîtriez pas votre ouvrage, et vous verriez que Dieu a mis la main d’une manière sensible au dessein dont vous n’aviez encore jeté que les fondemens[1]. » Qui ne sait également qu’après avoir été employé pendant quelques années aux modestes fonctions de prêtre de paroisse et de catéchiste, il fut, malgré son âge, nommé supérieur des Nouvelles catholiques, et chargé ainsi de confirmer dans la foi ou d’y amener les nouvelles converties qui avaient abjuré déjà la religion prétendue réformée, ou qui demandaient à se faire instruire? Qui ne sait enfin qu’après la révocation de l’édit de Nantes, il fut choisi pour les missions de Saintonge, et que, s’il ne mérita pas tout à fait la légende de tolérance qui s’est formée plus tard, un peu artificiellement, autour de son nom, du moins il s’honora en refusant de prêter son concours à ces conversions contraintes dont certains missionnaires, moins scrupuleux. que lui, faisaient

  1. Œuvres de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 393. Lettre au marquis Antoine de Fénelon, sans date. Cette édition, dite de Saint-Sulpice, publiée à Paris en 1850, est celle dont nous nous servirons, comme étant la plus récente et la plus complète.