par charité devoir ménager un peu le monde. Et cependant quel étrange état est-ce pour un chrétien, et plus encore pour un prêtre de se voir obligé d’entrer en composition avec l’ennemi de son salut! » Et il ajoutait, avec cette finesse que la direction des âmes développe chez les esprits les plus ordinaires : « Vos amis vous consoleront sans doute sur ce que vous n’avez pas recherché votre emploi, et c’est assurément un juste sujet de consolation et une grande miséricorde que Dieu vous a faite. Mais il ne faut pas trop vous appuyer là-dessus. On a souvent plus de part à son élévation qu’on ne pense. Il est très rare qu’on l’ait appréhendée et qu’on l’ait fuie sincèrement. On voit peu de personnes arrivées à ce degré de régénération. L’on ne recherche pas toujours avec l’empressement ordinaire les moyens de s’élever, mais on ne manque guère de lever adroitement les obstacles. On ne sollicite pas fortement les personnes qui peuvent nous servir, mais on n’est pas fâché de se montrer à eux par les meilleurs endroits, et c’est justement à ces petites découvertes humaines qu’on peut attribuer le commencement de son élévation. Ainsi personne ne sauroit assurer entièrement qu’il ne se soit pas appelé lui-même. Ces demandes de manifestation de talens qu’on fait souvent sans beaucoup de réflexions ne laissent pas d’être fort à craindre, et il est toujours bon de les effacer par un cœur contrit et humilié. »
De tous les jugemens qui ont été portés sur Fénelon, aucun ne pénètre aussi avant et ne met aussi bien à nu tous les replis de cette nature complexe que celui de ce prêtre obscur. Assurément il n’avait pas fui son élévation ; il ne l’avait même pas appréhendée, et peut-être n’avait-il pas été fâché, en se montrant par les meilleurs endroits, de faciliter ces petites découvertes humaines qui furent le commencement de son élévation. N’oublions pas que Mme de Maintenon faisait à cette époque partie du petit troupeau, qu’elle connaissait Fénelon, qu’il lui avait plu, et qu’assurément elle dut lui être favorable. Mais si le rigorisme de son directeur pouvait s’en alarmer, de quel droit, nous, profanes, lui en ferions-nous un reproche? Si dans le secret de son cœur, il a désiré l’emploi, l’élévation du but auquel il tendait ne doit-elle pas lui servir « d’excuse? Il semble que le sévère M. Tronson lui-même l’ait reconnu, car il parle des très grands biens que le pénitent, pour l’âme duquel il ne peut s’empêcher de trembler, pourra cependant faire dans la situation où il est. Ces très grands biens, il est impossible que Fénelon n’y ait pas songé.