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Déjà, bien qu’en secret, son esprit était tourné vers les spéculations de la politique. On n’en saurait douter depuis qu’a été découvert le manuscrit ou plutôt le brouillon, écrit de la main même de Fénelon, de cette fameuse lettre à Louis XIV que d’Alembert avait déjà publiée en 1787, mais dont l’authenticité avait été souvent mise en doute[1]. En acceptant la charge de précepteur du duc de Bourgogne, il faisait à la fois fonction de prêtre et acte de bon citoyen. Si à sa joie, à son empressement se mêlait une part d’humanité, et à la conscience du devoir accompli, la joie de l’ambition satisfaite, n’oublions pas qu’aux seuls grands saints (et encore?) il appartient de ne pas connaître ce mélange des sentimens, et que l’Eglise n’a jamais canonisé Fénelon. « A-t-on gagé d’être parfaite ? » disait avec bonne humeur Mme de La Fayette en parlant d’elle-même. C’est une gageure qu’on fait rarement pour soi, volontiers pour les autres, surtout lorsqu’ils portent soutane, en leur demandant des vertus qui sont au-dessus de l’homme, et dès qu’ils vous la font perdre, à l’âpreté avec laquelle on le leur reproche, il semble qu’on leur en veuille. Pour nous qui n’avons rien gagé, au sujet de Fénelon, si véritablement il s’est réjoui d’avoir ainsi trouvé l’emploi des facultés qui bouillonnaient en lui, nous ne nous sentons aucun droit de l’accabler sous le poids de tant de sévérité.


III

Nous avons assez longuement parlé du maître. Il est temps de revenir à l’élève. Pour le connaître, comment ne pas s’adresser d’abord à Saint-Simon? L’embarras est dans la multiplicité des portraits. On n’en compte pas moins de quatre[2]. Mais les traits sont les mêmes. Rappelons les principaux. « Ce prince naquit terrible, et sa première jeunesse fit trembler : dur et colère jusqu’aux derniers emportemens et jusque contre les choses inanimées, impétueux avec fureur, incapable de souffrir la moindre résistance, même des temps et des élémens, sans entrer en des

  1. Sur l’authenticité et la date de cette lettre, et sur la question de savoir si elle a été remise à Louis XIV, comme au reste sur plusieurs points de la vie et du caractère de Fénelon, on peut consulter avec fruit la Vie de Fénelon, écrite par M. Paul Janet pour la Collection des Grands Écrivains de la France.
  2. Mémoires, édition Chéruel, 1873, t. VII, p. 370-376; t. IX, p. 209-227. Addition au journal de Dangeau, t. XIV, p. 90-99. Collections sur feu monseigneur le Dauphin. (Revue des questions historiques, juillet 1880.) On doit la publication de ce dernier portrait, qui était demeuré inédit, à M. A. de Boislisle.