accès d’emportement tant il se contrefait bien. Après cette comédie jouée à ses propres dépens, vous croyez bien qu’au moins il ne fera plus le démoniaque. Hélas! vous vous trompez. Il le fera encore ce soir, pour s’en moquer demain sans se corriger. » Fénelon profitait d’une éclaircie pour montrer ce portrait au duc de Bourgogne. Celui-ci se reconnaissait lui-même, riait, et se corrigeait.
Une autre fois Fénelon usait d’un procédé non moins ingénieux, mais plus hardi. Bayle, alors réfugié en Hollande pour cause de religion, y rédigeait comme on sait les Nouvelles de la République des lettres. Fénelon supposa une lettre, à lui écrite par Bayle, à propos d’une médaille adressée d’Italie à un antiquaire hollandais, M. Vanden. Bayle décrivait ainsi la médaille. D’un côté, elle représente un enfant d’une figure très belle et très noble. Pallas le couvre de son égide. Apollon, suivi des Muses, lui offre sa lyre ; la Victoire lui montre d’une main un char de triomphe, et de l’autre lui présente une couronne. Mais le revers est bien différent. C’est le même enfant, et il a le même air de tête; mais il n’a autour de lui que des masques grotesques et hideux, des reptiles, des insectes, des hiboux, des harpies, enfin une troupe de satyres impudens et moqueurs qui rient et montrent du doigt la queue d’un poisson monstrueux par où finit le corps de ce bel enfant. Turpiter atrum desinit in piscem. On se demande, ajoute Bayle, si cette médaille représente Caligula ou Néron, dont les commencemens furent si heureux et la fin si horrible. Mais le bruit commence à se répandre que la médaille pourrait bien ne pas être d’origine ancienne. Il semble qu’on affecte de faire apercevoir malignement quelque jeune prince dont on tâche de rabaisser les bonnes qualités par les défauts qu’on lui impute. D’ailleurs M. Vanden n’est pas seulement curieux; il est encore politique et fort attaché au prince d’Orange, et on soupçonne que c’est d’intelligence avec lui qu’on veut répandre cette médaille dans toutes les cours de l’Europe.
Le duc de Bourgogne avait neuf ans lorsque Fénelon fit passer cette prétendue lettre sous ses yeux. Assurément rien n’était davantage de nature à piquer au vif un enfant orgueilleux, ayant déjà le sentiment de sa grandeur et de son rang, que de lui donner à craindre qu’il ne devînt la fable de l’Europe et du prince d’Orange. Son âge rendait l’imposture facile. Quand plus tard il dut la découvrir, l’effet était produit. Mais l’auteur de Télémaque appelant à la rescousse, pour l’éducation du duc de Bourgogne,