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et c’en sont des conséquences nécessaires, la liberté de la parole, la liberté des écritures, la liberté même des associations, au moins spirituelles. Le libéralisme est donc de l’essence même du christianisme ; le libéralisme est chrétien. — Seulement, en passant, pour ainsi parler, à travers le protestantisme, il a changé de caractère. Il est devenu la prétention pour chaque homme et dans chaque homme de penser par lui-même sans aucun contrôle, et presque, car c’est au moins la tendance, sans consulter personne. C’est séduisant, mais dangereux. Le libéralisme, à s’exagérer ainsi, se tue lui-même. Qu’il existe une association d’hommes qui ne soumettent point leur pensée aux pouvoirs politiques, mais qui la soumettent à eux-mêmes, la discutent entre eux par la voix de leurs représentans spirituels, la fixent ainsi, puis s’y tiennent pour pouvoir penser en commun, pour pouvoir être en communauté de pensée et en communion de sentimens, non seulement entre eux à tel point du temps, mais avec leurs frères du passé et leurs frères de l’avenir ; voilà qui est liberté, puisque c’est pensée et croyance soustraites aux pouvoirs temporels, mais voilà en même temps qui est force, puissance de résistance, barrière aux empiétemens des pouvoirs humains, liberté en soi, force conservatrice de la liberté ensuite. — Mais la liberté individuelle de pensée et de croyances, elle est liberté, soit, mais où sera sa force ? Par quoi, comment résistera-t-elle ? Comment même se communiquera-t-elle, se répandra-t-elle d’âme à âme si le pouvoir temporel ne veut pas qu’elle se répande ? Je vois des millions de petites libertés enfermées dans des millions d’âmes, et chacune incapable de sortir de son âme et de s’appuyer sur une autre liberté, et d’en créer d’autres. Autant dire qu’elles n’existent pas, n’ayant pas la force de vivre. Ainsi poussé à l’extrême, le libéralisme disparaît dans son exagération. Il s’ôte la vie pour s’affirmer davantage. Le libéralisme moderne, c’est la liberté s’exaltant jusqu’au suicide. Il n’y a pas d’aberration comparable.

Donc il faut une croyance, il la faut générale, universelle, traditionnelle. Mais que faudra-t-il croire ? Quel sera le critérium de la certitude ? — Ici Lamennais se sépare de De Maistre et de Bonald et invente une théorie dont il n’y a que des traces confuses, ce me semble, dans ceux qui l’ont précédé, et, dans de Maistre, que quelques traits épars. C’est la théorie du consentement universel. Qui a raison ? Est-ce le sentiment, l’inspiration personnelle ? non ; nous avons répondu à cela. Est-ce la raison ? non, la raison, quand