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nation de choisir librement sa constitution politique n’est qu’une conséquence de la participation de chaque homme et de chaque agrégation d’hommes à la souveraineté du genre humain... sans quoi la souveraineté proprement nationale, manquant de base, manquerait également de droit, ne serait qu’une fiction mensongère, une tyrannie. Qu’est-ce, en effet, qu’une souveraineté soit nationale, soit individuelle, substituée à la souveraineté, divine dans sa source, du peuple ou du genre humain, une pensée, une loi, une volonté particulière, armée de la force, opposée à la volonté, à la loi, à la pensée universelle, à la raison et à la conscience de l’humanité, proclamant le droit, le devoir, le vrai et le bien? » — Souveraineté du genre humain, c’était « le consentement universel » de Lamennais en 1820; — raison et conscience de l’humanité, humanité proclamant le devoir, humanité obligeant l’homme, sorte de Dieu immanent aux commandemens de qui l’homme doit obéir : voilà le Lamennais nouveau, déjà presque aussi loin que possible du catholicisme; mais, s’il est infidèle à son Eglise, fidèle encore à lui-même, détaché du catholicisme, mais se rattachant encore à la base sur laquelle naguère il s’efforçait de l’établir.


III

Et que disait l’Église à tout cela? Sans entrer dans tout le détail des discussions de Lamennais avec Rome, rappelons brièvement que les principales doctrines de l’Avenir sur les libertés nécessaires ayant été blâmées dans une encyclique, Lamennais ayant suspendu la publication de l’Avenir pour aller soumettre personnellement ses idées au Saint Père, ayant été formellement condamné et s’étant soumis, on ne se contenta pas de cette soumission ; mais on voulut une adhésion explicite à l’encyclique même. Lamennais la donna avec réserves, fut de nouveau condamné sous diverses formes, puis, ayant laissé publier les Paroles d’un croyant, fut décidément proscrit, et cessa de se considérer lui-même comme prêtre et comme catholique. Tout cela était inévitable, et il était impossible qu’il n’arrivât point. Lamennais était le seul qui pût s’étonner de ne point rester catholique quand il pensait comme il pensait depuis 1830.

Sans doute, il ne repoussait, il ne contredisait, il n’altérait même, ce me semble, aucun dogme de l’Église catholique. Et