que c’est lui, Peter, qui fusillera le noir, de sa propre main, au lever de l’aurore.
Cet arrêt soulève d’interminables discussions au bivouac. Les hommes fraîchement arrivés d’Europe sont pour Peter, tandis que les vieux coloniaux, endurcis par la répétition des mêmes scènes, le blâment de s’être mis son chef à des pour une pareille bagatelle : « Un nègre de plus ou de moins, dit un colonial, qu’est-ce que ça peut bien faire? Celui-là recevra une balle ou crèvera de faim, si nous ne l’achevons pas... Et puis, ça ne sent rien, ces nègres... J’ai vu un noir qu’on allait fusiller regarder les fusils en face et tomber comme ça! — sans un son. Ils n’ont pas de sentiment; je crois qu’il leur est égal de vivre ou de mourir; ce n’est pas comme nous. » Un autre soldat émet l’opinion que Peter refusera de tirer, un troisième s’offre à le remplacer, et de bon cœur. Bref, l’incident alimente les conversations jusqu’au moment de dormir. Seul, le héros du jour n’y prend aucune part. Il se tient très tranquille dans son coin et va se coucher de bonne heure.
La suite se devine. Le camp est réveillé au milieu de la nuit par des bruits confus. Les soldats sont sur pied en un clin d’œil, mais ils ne peuvent que constater la disparition du nègre blessé ; quelqu’un avait coupé ses liens, et à sa place gisait Peter Halket, la poitrine trouée d’une balle de revolver. Un camarade ayant fait mine d’examiner sa blessure, le capitaine renvoya chacun à son poste avec force jurons, et ordonna d’enterrer le corps séance tenante. Leur besogne terminée, l’un des deux hommes commandés pour cette corvée dit à son compagnon : « Il n’y a pas de Dieu dans le Mashonaland. « L’autre fut très affligé de cette parole impie, mais le premier refusa d’en démordre; il avait de l’éducation, et il savait que le Dieu auquel il pensait, celui que les monarques européens invoquent dans leurs cérémonies, fait rarement partie des bagages de leurs fonctionnaires coloniaux en Afrique. On s’y trompe parce que ces derniers débarquent « la Bible dans une main, une corde dans l’autre »; mais la Bible n’est qu’un décor, qu’il serait plus séant de laisser à la maison, si l’on ne peut absolument se passer de la corde à titre d’ustensile quotidien et, pour ainsi dire, domestique.
Nous avons dit que cette dernière opinion était ouvertement défendue en Allemagne. Elle est connexe à l’idée que nous avons tous les droits, sans aucun devoir, vis-à-vis des races inférieures.