devant lui, avec ses cruautés inéluctables, ses dénis de justice obligatoires, ses nécessaires abus de la force, il sentait son éducation chrétienne se réveiller, pour ainsi dire, au fond de son âme, et il commençait à trouver des objections aux choses qui lui avaient paru le plus naturelles. La lumière s’insinuait dans son esprit obtus, et il en vint à comprendre, ce qui était beau de la part d’un paysan anglais, qu’il fallait choisir entre l’Evangile et le Livre bleu. Il va sans dire que Peter choisit l’Évangile, sans quoi l’histoire serait finie, et le reste du volume est employé à nous montrer ce qui en résulta.
Olive Schreiner s’est gardée de faire une façon de prophète de son jeune soldat. Peter résiste aux objurgations de son compagnon, qui voudrait l’envoyer « porter des messages » aux peuples et aux gouvernans. Il lui représente qu’il n’a aucune chance d’être écouté. On dira : « — D’où sort-il, celui-là?... Il y a un an qu’il est dans le pays et il ne possède pas une seule action dans aucune compagnie? Comment pourrait-il avoir rien à dire qui vaille la peine d’être écouté ? S’il avait le moindre bon sens, il aurait déjà gagné cinq mille livres pour le moins. On ne m’écoutera pas. » L’ « étranger » est obligé de se rendre à cet argument. Il faut être capitaliste, de nos jours, pour prêcher la morale de l’Evangile ; on risque, sans cela, d’être pris pour un anarchiste. Il est donc convenu que Peter Halket se bornera à appliquer dans sa petite sphère les préceptes qu’on lui enseignait jadis au catéchisme ; sa seule hardiesse consistera à les appliquer sans distinction de couleur.
La disparate entre la morale officielle des sociétés chrétiennes et leurs procédés éclate aussitôt dans toute sa brutalité. Peter Halket a rejoint son détachement, où l’on a été frappé de ses allures bizarres. On lui croit la cervelle un peu dérangée. Il fait des choses qui seraient toutes simples entre blancs, mais qui frisent la trahison avec des nègres. Les soldats ont découvert dans un trou un nègre blessé. Le capitaine qui commande l’escorte a condamné le prisonnier, sans plus ample informé, à être pendu comme espion, et grande a été sa stupéfaction, puis sa fureur, quand Peter Halket a osé lui suggérer, avec tout le respect dû à un supérieur, qu’on ne savait pas du tout si ce nègre était un espion ; qu’il s’était peut-être caché à cause de sa blessure, faute de pouvoir se sauver. L’officier se décide à couper court à des sentimentalités d’un mauvais exemple, et il déclare à cet imbécile