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adressé son petit questionnaire, je lui aurais répondu courrier par courrier que, la question de budget étant réservée, nous avons une raison plus importante de travailler à l’instruction des femmes, que de moins en moins nous travaillons à la nôtre, et que les choses de l’esprit nous devenant de plus en plus indifférentes, il n’y aura plus au XXe siècle personne pour les prendre au sérieux, à moins que les femmes ne s’en chargent.

Dans un temps de civilisation utilitaire et matérialiste, où l’on sacrifie tout au confort, au bien-être, où la science n’est guère prisée que pour ses applications industrielles, où les idées démocratiques se marient au fétichisme des machines et à l’idolâtrie croissante de l’argent, n’est-il pas bon qu’il se forme une élite de femmes à l’esprit sain, ouvert, éveillé, qui auront toutes les curiosités désintéressées, l’amour du vrai sous toutes ses formes, le culte de l’inutile, le culte de l’art et des sciences qui ne servent à rien ?

Elles empêcheront l’homme de s’épaissir tout à fait ou le feront rougir de sa grossièreté ; par un reste de pudeur, il affectera des goûts relevés qu’il n’a plus, et il y a des hypocrisies bienfaisantes. Les Américains conviennent que les Américaines leur sont fort supérieures en tout ce qui ne concerne pas la banque, le commerce et les spéculations hasardeuses et grandioses. Ils s’occupent de leurs affaires avec tendresse, avec rage ; c’est à cette fin qu’ils sont nés ; mais ils sont bien aises que leurs femmes fassent autre chose, qu’elles emploient leurs loisirs à aiguiser leur esprit, à affiner leur goût et leur raison, à se rendre capables de savourer des plaisirs que n’ont jamais donnés les dollars. S’il est douteux que l’idéalisme allège les charges d’un ménage, on peut affirmer qu’il est nécessaire au bonheur et à la durée des sociétés. Son dernier refuge sera le cœur de la femme ; mais le cœur ne se porte bien que si l’esprit travaille.

Que les femmes s’instruisent ! À l’exception de certain philologue, les hommes ne s’en plaindront pas. Le malheur est qu’elles ont du penchant aux superstitions, et c’en est une fort dangereuse que de s’imaginer qu’il y va de leur salut d’être admises dans les universités, qu’elles n’acquerront quelque science qu’en se mettant sous la discipline des professeurs ordinaires ou extraordinaires. C’est désormais leur manie, leur marotte. Un des correspondans de M. Kirchhoff, le philosophe Edouard de Hartmann, reproche aux Allemandes de se faire à ce sujet de funestes illusions, et Il leur donne dans son style abrupt un avertissement qu’elles feront bien de méditer : — « Les salles de cours, leur dit-il en substance, ont pour vous depuis quelque temps je