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documens inédits, suffirait à elle seule pour me faire regretter de l’avoir si sommairement, et si sévèrement jugé.

Je l’avais jugé ainsi, en vérité, sur la foi de quelques-uns des plus autorisés parmi ses compatriotes, et notamment de Cesare Cantù, qui, dans son étude sur Monti et son temps, parlait de lui dans les termes les plus méprisans. Rappelant les reproches que lui avaient faits Monti et Giordani d’être un renégat, un traître, un espion de l’Autriche, il l’accusait par surcroît de s’être toujours conduit comme un vil charlatan ; et il en donnait comme preuve la relation publiée par Acerbi, en 1802, d’un voyage au cap Nord, voyage qui, à l’en croire, n’aurait jamais eu lieu qu’en imagination.

Or, nous savons désormais, de la façon la plus positive, que ce voyage a eu lieu le plus réellement du monde : car le Journal d’Acerbi, légué par lui à la bibliothèque de Mantoue, en rapporte, au fur et à mesure, les moindres péripéties. Et l’on peut juger par cet exemple de ce que valent, dans l’ensemble, les accusations de Cantù. Elles ne sont au total que l’écho de la haine féroce vouée naguère à Joseph Acerbi par deux de ses anciens amis, le poète Monti et l’ex-abbé Giordani, qui tous deux d’ailleurs lui en voulaient non pas d’avoir trahi sa patrie, — eux-mêmes l’ayant, à ce compte, trahie avec lui, — mais de les avoir, un beau jour, congédiés l’un et l’autre de la Biblioteca Italiana.

Il n’en demeure pas moins certain, cependant, qu’Acerbi a été un agent de l’Autriche. C’est sur l’invitation du général Bellegarde, et aux frais du gouvernement impérial, qu’il s’est chargé, en 1815, de créer à Milan une grande revue, toute littéraire en apparence, mais qui devait servir surtout, suivant les paroles mêmes de Bellegarde, « à rectifier les erreurs répandues, sous toutes les formes, par le régime précédent» ; et l’on devine bien que la principale de ces erreurs était encore celle qui consistait à croire que l’Italie pût se passer jamais de la domination autrichienne. Acerbi, d’ailleurs, s’est toujours considéré comme un fonctionnaire. Il dirigeait la Biblioteca Italiana comme il eût dirigé un consulat, ou une préfecture, soucieux avant tout de bien servir les maîtres qui l’employaient. Ces maîtres étaient des étrangers, et faisaient peser sur l’Italie un joug des plus lourds ; mais il ne paraît pas qu’Acerbi se soit rendu compte de ce qu’il y avait dans sa conduite de blâmable, ni même d’anormal. Fils et petit-fils de fonctionnaires, il restait fidèle aux traditions de sa famille, et c’est avec une bonne foi parfaite qu’il s’engageait à « rectifier » des opinions où il voyait, lui aussi, des « erreurs » dangereuses pour le repos public.

Mais les documens cités par M. Luzio nous prouvent en outre que