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dimanche au jeudi, jour par jour, on avait suivi la victime sur la route de Gethsémani, au parvis du temple, dans la maison de Simon le lépreux ; on avait rappelé le miracle du figuier, l’entretien avec les Pharisiens et les Sadducéens, l’offrande des parfums apportés par la pécheresse. Il faut maintenant, heure par heure, accompagner le mourant dans son agonie et c’est pourquoi douze lectures, sonnées au battant de la cloche, comme au marteau d’une horloge composent cet office de nuit.

Le chœur commence le texte par un psaume à trois phrases, puis par une litanie, puis par un nouveau verset ; et cette symétrie des rythmes prépare d’une manière obsédante et douloureuse la reprise de la récitation. Mais pour marquer l’approche du dénouement et la consomption des derniers instans, à chaque fois, la prose s’accourcit. Le prêtre, un vieillard aux mains tremblantes, s’émeut davantage et, venant à lire le renoncement de Pierre, il éclate en sanglots.

Tandis que défaille ainsi la voix isolée, le chœur infatigable reprend sa marche symphonique, tantôt maudissant Judas et tantôt louant le bon larron qui « en une heure gagna le paradis. » Ainsi l’éternel espoir chante encore avec la douleur du jour.

La dixième heure — quatre heures de l’après-midi — est celle de la mort et de la mise au tombeau. Pour rendre la cérémonie plus ample et plus symbolique, on la commence dans l’église de Saint-Georges, on l’achève dans la cathédrale de Sainte-Sophie. C’est d’abord un office ordinaire, psaumes, antiennes, le clergé qui entre et qui sort ; mais la porte du Roi des Rois, ouverte après la récitation de l’Évangile, montre la plaschanitza déposée sur l’autel ; c’est la civière sainte qui représente le suaire et sur laquelle est brodée l’image du Crucifié. Le prêtre l’encense trois fois ; cette action répétée marque l’indécision de Joseph et de Nicodème qui ne savent où, comment, ensevelir Jésus. On forme enfin son cortège, on l’emporte à pas lents, précédé par l’Évangile, éclairé par des flambeaux. Les fidèles se prosternent au passage, puis suivent avec des larmes l’hostie universelle que chaque homme a mise à mort.

Un grand vent balaie la cour et fait s’égoutter la cire des cierges ; des nuages se déploient au-dessus de la cathédrale, comme déchirés aux pointes des dômes ; on lit là-haut, sur la page d’azur brouillé, que « Ce ne sera pas toujours l’hiver ! il faudra que la glace fonde… » Le mort déposé au milieu de la nef principale,