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Faute de pouvoir artificiellement purifier les calcaires qu’ils emploient et en expulser ce fer importun, les fabricans ont essayé de neutraliser son action en introduisant dans les fours d’autres métaux, tels que le manganèse ou le nickel. Ces alliages ont eu raison de la couleur verte, mais en communiquant au cristal, lorsqu’il se trouvait exposé depuis quelque temps aux rayons du soleil, des teintes violettes ou jaunâtres. Le défaut de ces reflets était plus sensible dans les glaces que dans les vitres; le miroir ne doit à tous que la vérité sans flatterie, mais il excède ses droits lorsqu’il donne à chacun de nous, de notre propre personne, une idée plus désolante que nature. Or, s’il est dur de rencontrer une glace infidèle, qui vous peigne à vous-même sous les traits d’un noyé récemment mis à sec, voir son image réfléchie avec une tonalité mauve ou beurre frais ne serait guère moins pénible. Une proportion homéopathique de cobalt — 20 centigrammes par 100 kilos — combat maintenant avec succès la nuance glauque du verre. Le bleu de cet oxyde joue ici le même rôle que l’indigo ou l’outremer des blanchisseurs pour azurer le linge.

La fabrication des glaces dans le monde atteint le chiffre de trois millions et demi de mètres carrés par an. L’Angleterre en produit un million, la France, la Belgique et les Etats-Unis de 600 à 700 000 mètres chacune, l’Allemagne 400 000. Il s’en fait tant que l’on redoute une surproduction, et les usines, malgré le bas prix auquel cette marchandise est descendue, sont en quête de débouchés. Il est loin, le temps où princesses et grandes dames se contentaient de miroirs, somptueusement encadrés à la vérité, mais si exigus qu’un bourgeois n’oserait plus en mettre de pareils dans la chambre de sa cuisinière.

Avant que la manufacture royale, fondée sur le secret dérobé aux Vénitiens, n’ait quelque peu vulgarisé sous Colbert l’usage des cristaux étamés au mercure, la fille des champs se mirait dans l’eau des fontaines ; la classe moyenne dans des plaques d’acier, de bronze argenté et surtout d’étain. Le miroir de glace, par ses dimensions modestes, était même chez les riches un objet mobilier, bien plus qu’un accessoire obligé de l’immeuble. Au début de la régence d’Anne d’Autriche, on vendait 600 francs de notre monnaie les glaces de 66 centimètres de haut. Celle qu’un jeune magistrat avait, cinquante ans plus tard, dans son salon de la rue Royale, ne lui coûtait pas plus de 400 francs, bien qu’elle mesurât 85 centimètres carrés. Mais dans l’intervalle Saint-Gobain,