que des désillusions encore plus profondes et plus amères, parce qu’elles seront faites de plus d’espoirs, mais, ici, il n’importe! Les savans et les économistes, les gens de progrès, avaient promis aux foules, en leur ôtant les traditions, en leur ôtant les coutumes, en leur ôtant la foi, en leur ôtant la Beauté, qu’ils leur donneraient le bonheur. — Le leur ont-ils donné?
A cela, inutile de répondre. Le cri des générations montantes répond pour nous. Au moment de tenir ce que les savans et les économistes avaient promis aux foules, au nom du progrès, on s’est aperçu que le bonheur n’est pas une de ces choses quæ numero, pondere, mensuâve constant; mais une monnaie divine, et qu’en dispersant au vent toutes les divines chimères, on l’avait depuis longtemps dissipée... Là, est l’échec cruel, évident, indéniable, car si l’on peut prouver à l’ouvrier, au paysan, à l’aide d’ingénieuses et réconfortantes statistiques, qu’il est plus riche que l’ouvrier ou le paysan du beau vieux temps, comment, lorsqu’il sent le contraire, lui démontrer qu’il est plus heureux?
En sorte que vainement on tenterait d’opposer aux plaintes des artistes sur les dévastations du progrès moderne les applaudissemens des artisans sur ses bienfaits. D’en bas comme d’en haut, c’est bien le même reproche qui retentit. Qu’avez-vous fait de la Beauté? disent les uns, — et les autres : Qu’avez-vous fait du Bonheur? En quoi ce progrès nous a-t-il rendu l’idéal plus élevé? demandent les premiers, — et les seconds : En quoi nous a-t-il rendu les réalités meilleures? Oh! sans doute on a étalé en 1889, et l’on étalera encore en 1900, des merveilles sorties des laboratoires et des usines qui ont tué la Beauté, — et l’on enflammera de la sorte les convoitises des misérables qui passeront devant ces merveilles ; — mais en quoi leur fera-t-on ainsi trouver leur sort plus joyeux? On annonce qu’on peindra, en de gigantesques projections, des scènes de la Révolution française sur des nuages. Les nuages en seront enlaidis, mais les foules qui passeront au-dessous en seront-elles plus belles? On se vante de décupler la vitesse des machines qui nous traînent : les chagrins que nous emportons avec nous n’en feront que galoper plus vite. On disait autrefois :
Chagrin d’amour ne va pas en voyage,
Chagrin d’amour ne va pas en bateau.
Quelles sont les tristesses qui n’aillent point aujourd’hui partout