le long des routes souffrent autant aujourd’hui du baron du sac qu’autrefois du baron du roc... »
Ainsi à quelque point de vue qu’on se place, au point de vue de l’esthétique de la nature que la spéculation souillé et enlaidit ou au point de vue du bonheur des petites gens qu’elle rançonne et qu’elle écrase, — la richesse est un mal. Un pays soi-disant riche n’est pas plus un pays heureux qu’un beau pays. Et le culte de Mammon est aussi impossible à concilier avec la justice sociale qu’avec la religion de la Beauté.
On connaît l’histoire de cet esthète fameux qui surprit un pauvre diable tendant la main sur un pont de Londres, en un costume agressivement inesthétique. Ce mendiant était vêtu d’une redingote simplement défraîchie et d’un horrible chapeau de cérémonie. L’esthète, révolté par ce désaccord entre le costume du misérable et sa profession, le mena chez le plus habile tailleur qu’il pût trouver afin de lui faire confectionner à grands frais et d’après les tableaux des maîtres de la National Gallery d’authentiques habits de mendiant. Après quoi il le reconduisit à son pont, et l’histoire ne dit pas qu’il lui offrit de quoi manger. Cet esthète n’était pas un ruskinien.
On conte encore qu’un prédicant, étant venu à passer sur le même pont, s’indigna fort qu’on n’eût pris garde qu’aux apparences extérieures du claquedens et qu’on n’eût point songé à son âme. Il le prit donc par le bras, l’emmena au prêche et après lui avoir ainsi montré comment on gagne la vie éternelle, le renvoya à son pont. Mais l’histoire ne dit pas qu’il lui offrit de quoi boire. Ce prédicant non plus n’était pas un ruskinien. Ruskin, lui, eût conduit le mendiant, non dans un musée ni au prêche, mais dans un grill-room. Il se serait occupé de restaurer non ses bardes ni son âme, mais d’abord son estomac.
Car si trop d’industrialisme et de richesse dans un paysage tue la beauté de la Nature, trop de misère dans une ville tue la beauté des corps. Et sans beauté plastique, il n’est pas d’art possible ni de rêves d’art. « Vous ne pouvez avoir un paysage par Turner sans un pays où il puisse peindre. Vous ne pouvez avoir un portrait par Titien sans un homme à portraiturer. Le commencement de l’Art consiste à rendre notre peuple beau. Il y a eu sans doute un art dans des pays où les gens n’étaient pas tous beaux, où même