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cherche à consolider à son profit le pouvoir de l’argent parce qu’il en a et celui qui cherche à le détruire parce qu’il n’en a pas sont mus au fond par un même sentiment : l’orgueil. Il luit dans les yeux de l’apôtre révolutionnaire que drape sa pauvreté, comme dans ceux du pharisien resplendissant de luxe. L’un et l’autre ont le même but : apparaître dans le monde sous les mêmes dehors que les plus grands. C’est l’impatience de toute inégalité, l’inquiétude de toute supériorité, l’horreur de toute hiérarchie. Elle se manifeste aussi bien par le mépris violent et affiché de l’argent que par la recherche exclusive et obstinée de l’argent. Elle s’affirme autant par les coups de hache des prophètes socialistes pour briser les échelons de l’échelle sociale que par les habiles manœuvres des mammonistes, pour en confondre, en les couvrant d’or, chaque degré. L’image la plus juste qu’on ait tracée de notre société est celle qu’a peinte M. Rochegrosse. On s’en souvient sans doute. Elle a paru à l’un de nos derniers Salons. Sur les hauteurs d’une ville industrielle et riche, laide et enfiévrée, dans un ciel enfumé par l’émanation d’un travail insalubre et inutile, un désir exaspéré de richesses, d’honneurs, de bruit et d’ascension sociale soulève la foule en une poussée fratricide, en une sorte de pyramide humaine, s’écrasant et se ruant, s’écroulant et se réédifiant, tour à tour, mais montant, montant toujours au prix de la paix, au prix de la beauté, au prix de la vie, vers la Fortune dorée qui, là-haut, passe et fuit au-dessus des mains vides et tendues...

Regardons maintenant, pour nous faire une idée autre et meilleure de la vie, un tableau bien connu de Burne-Jones : The golden Stairs. Dans un cadre étroit et haut, un escalier doré sans rampes, comme un escalier de songe, s’élève en spirale, conduisant d’un rez-de-chaussée qu’on ignore à un étage supérieur qu’on ne voit pas. Des jeunes filles aux tuniques légères creusées de plis comme des colonnes, aux feuillages arrangés comme des couronnes, descendent les degrés, tenant, les unes des violes, les autres, des cymbales ou des tambourins, d’autres de ces longues trompettes qui jaillissent des mains des anges, comme des rayons, sur le bleu des ciels de Fra Angelico. Leurs pieds nus se posent sur les marches d’or et les doigts de leurs mains nues sur les cordes d’argent des luths ou sur les trous des flûtes. Et les marches reluisent et reflètent les pieds, et les cordes bruissent et reflètent les âmes des lentes musiciennes. Des feuillages jonchent le sol comme