n’aura qu’une rébellion : contre la laideur. Il ne reprochera aux grands de ce monde qu’une chose : être petits, être mal vêtus, se montrer aux assemblées en des costumes égalitaires et sans grâce, garder pour eux seuls leurs belles collections, abattre leurs vieux chênes ou leurs oliviers. Contre les riches, il n’aura qu’un grief : la ruine des vieilles demeures et la construction de bâtisses neuves dont « le visage est indifférent. » Mais tout ce qui sera respectueux des vieilles et belles choses, il le respectera. Il ne se moquera que de la moquerie. Il ne haïra que la haine. Il ne méprisera que le mépris.
Admirant ainsi sans arrière-pensée, sans retour sur soi-même, il sera heureux. Voyez s’il est beaucoup de vies, dans l’histoire, plus heureuses que celles des grands paysagistes : souvent malades comme Chintreuil, souvent pauvres comme Corot, souvent misanthropes comme Turner, parfois menacés de cécité comme Troyon, s’ils ont eu pourtant cette vie relativement heureuse dont leurs lettres ou leurs récits témoignent, c’est que leur vie fut passée à admirer. Le malheur est fait d’envie : quiconque admire de tout son cœur n’envie pas. Le malheur est fait de regrets : en admirant, on oublie; de rancunes : en admirant, on pardonne; de doutes: en admirant, on croit.
Non seulement le malheur individuel, mais le malheur social est fait de ces maux et ne peut être guéri que par ce contrepoison. Le sentiment de l’admiration, en même temps qu’il est la dernière et suprême nécessité pour une vie esthétique, demeure le remède suprême du mal social. C’est l’antidote direct du sot désir d’être admiré, désir qui tue tout enthousiasme, puéril amour-propre qui consume tout amour. On s’élève beaucoup aujourd’hui contre la puissance de l’argent et contre le désir de l’argent. Mais ce n’est point là le mal social. Ce n’en est qu’une des manifestations. Si l’argent est devenu si convoité, c’est que les satisfactions d’amour-propre qu’il donne sont devenues l’objet type des convoitises. Si l’on cherche l’or plutôt que la vie, ce n’est pas pour le transformer en objets utiles à la vie, mais bien en hochets de luxe et de vanité. Ce n’est point pour pouvoir dire brutalement et sainement : buvons et mangeons! mais bien pour pouvoir penser obscurément et jalousement : brillons et soyons admirés ! et surtout : que personne ne brille ni ne soit admiré plus que nous ! La passion capitaliste est une des formes que prend ce désir, mais ce n’est pas la seule. L’autre est la passion révolutionnaire. Celui qui