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Et c’est presque à ne pas reconnaître ici— dans ce Liber generationis des tympans — le Michel-Ange des autres jours, le Michel-Ange de partout ailleurs. Malgré le pathétique du sujet, aucune violence dans les attitudes, aucune impétuosité dans les gestes; nulle exubérance non plus dans les formes ni étalage d’anatomie, et la nudité est le privilège des enfans seuls. Phénomène surprenant, à peu près unique, dans l’œuvre de Buonarroti que ces figures d’une poésie si intime et si intense, que ces compositions d’une simplicité si épique! Après les vertiges du plafond, les éblouissemens des Ignudi et les épouvantemens des Prophètes et sibylles le regard s’arrête, apaisé et comme détendu, à ces triangles avec les ancêtres du Christ, où tout est justesse, harmonie, équilibre...

Tout, en revanche, n’est qu’obscurité, disparate et bizarrerie dans les peintures au-dessous, et on a sûrement tort d’y voir la continuation de la Généalogie du Sauveur. Les étranges scènes d’intérieur et de genre que nous présentent la plupart de ces lunettes à l’entour des fenêtres! Vous y remarquerez une mère qui s’apprête à débarbouiller son marmot; un pèlerin pantelant qui se lève péniblement de son siège et reprend le bâton de marche ; une bonne vieille occupée à son rouet ; un grand bonhomme frêle et voûté, qui griffonne quelque chose sur son genou; une femme qui se regarde attentivement dans un petit miroir qu’elle tient dans le creux de sa main ; un gars avantageux qui allonge démesurément ses jambes devant un pupitre à lire ; une jeune fille en train de faire sa toilette et de se peigner les cheveux[1] ; j’en passe, et des plus excentriques. Nous sommes en pleine improvisation, en plein impromptu; nous glissons dans la commedia dell’arte avec ses Pierrots et ses Gilles : regardez plutôt (à côté de la jeune fille qui se peigne) tel flandrin en pantalon blanc, en houppelande blanche, avec de gros yeux à fleur de tête... On cherche en vain l’idée générale qui a présidé à la composition d’épisodes aussi hétéroclites ; involontairement on pense à ces carnets où l’artiste fixe en traits rapides tout ce qui frappe au passage son imagination en éveil, son regard en quête de formes, et on se demande si ce n’est pas les feuilles d’un tel livre d’esquisses que nous avons ici devant nous : feuilles arrachées par la main de Michel-Ange et transportées sur ce pan de mur au hasard, à la hâte?...

  1. Elle est charmante du reste, et Raphaël l’a copiée dans la XIe arcade de ses Loggie (Bethsabée).