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attend chez nous de l’omnipotence providentielle de l’État? Voyons comment les faits répondent à cette question.


La marine marchande a besoin d’être protégée, comme le sont l’agriculture et l’industrie. La protection accordée à ces deux branches de la production nationale rend en effet plus intense l’action des causes multiples qui font que la construction navale coûte en France beaucoup plus cher que dans les pays voisins.

Or nous avons besoin d’une marine marchande prospère, d’abord parce que c’est la navigation de commerce qui fournit à la marine de guerre ses équipages, une partie de ses constructeurs, et une partie de ses transports; en second lieu parce que ce n’est pas au moment où nous développons notre empire colonial que nous devons nous résigner à être de plus en plus tributaires, pour nos transports commerciaux, des marines étrangères.

Ces choses sont tellement évidentes que la marine commerciale, en France, n’a jamais cessé d’être l’objet de la sollicitude la plus attentive de la part des pouvoirs publics.

Avant 1870, l’armement était protégé par la surtaxe de pavillon et par le droit de tonnage sur les navires étrangers, le commerce maritime par la surtaxe d’entrepôt, le drawback, la détaxe de distance. À cette époque, notre commerce maritime était prospère. Si l’Angleterre nous dépassait de plusieurs longueurs avec ses 5 millions de tonnes, nous faisions belle figure après elle, longo intervallo il est vrai, mais au second rang pourtant, avec 1 100 000 tonnes.

Notre commerce maritime, cependant, se plaignait (cessera-t-il jamais de se plaindre?). Les mesures mêmes de protection adoptées en sa faveur maintenaient le fret à un taux élevé, qui grevait d’autant l’importation des matières premières et l’exportation des produits manufacturés et entravait l’expansion des transports.

Les barrières furent peu à peu abaissées de 1860 à 1869; les traités de commerce firent disparaître successivement les avantages dont avait joui notre marine commerciale, qui n’en resta pas moins soumise aux charges de l’inscription maritime et aux causes invétérées d’infériorité où se trouve placée chez nous l’industrie de la construction navale. Notre flotte de commerce déclina de 1 100 000 à 900 000 tonnes; on achetait les bateaux à l’étranger; nos chantiers étaient déserts.