à cet ensemble de « préjugés » dont nous avons fait le code de nos lois. Le paradoxe brille à ses yeux d’une beauté qui lui est propre. Il met sa coquetterie à contredire le sens commun et ambitionne d’être tenu pour un garçon invraisemblable qui ne fait rien que d’extraordinaire. Pris au piège de ces attitudes et dupe lui-même du rôle qu’il joue, il découvre en soi des merveilles de complexité. Protestant devenu incrédule, petit enfant sage devenu un coureur d’aventures, ces contrastes lui semblent inouïs. Il se convainc qu’il est un être d’exception et il s’admire d’être seul de son espèce.
Comme ils lui ont enseigné le goût de la désespérance, les romantiques lui ont révélé le dogme de la couleur locale. Il l’a appliqué avec conscience ; apparemment cela lui était plus facile qu’à d’autres, attendu qu’il avait beaucoup voyagé. Il nous a fait faire avec lui le tour du monde, en prenant soin de nous arrêter aux bons endroits, à ceux où notre badauderie d’Européens devait trouver plus de prétextes à s’émerveiller. Choses d’Afrique et d’Océanie, turqueries et japoneries, modes maories et modes kassonkhées, mœurs, coutumes, croyances et étoffes assorties, bariolages et tatouages, oripeaux et verroteries, ç’a été tout le bazar de l’exotisme. — Dans chaque coin du monde où l’ont mené les hasards de sa vie errante, le premier soin de Loti a été, de se travestir en endossant le costume du pays. Le second a été de se conformer aux usages qui règlent sous les latitudes diverses les unions libres. Il nous a conviés à tous ses « mariages ». Il nous a décrit avec une complaisance inépuisable toutes les sortes d’amour dont il s’est composé une expérience bigarrée, l’amour à la turque, l’amour à la japonaise, l’amour bien saharien, l’amour très polynésien. Rien de plus déplaisant, et rien aussi de plus monotone. Il n’y a que le cadre qui change et que la couleur de l’épousée. Car, l’âme n’étant pas engagée dans l’affaire, et la partie sentimentale en qui seule réside toute variété en étant bannie, il ne reste dans l’amour ainsi entendu que l’élément pareil pour toutes les contrées, pour tous les hommes et pour toutes les bêtes. Mais nul doute que M. Loti n’ait trouvé dans la description de l’amour d’un civilisé pour une sauvagesse, et d’un blanc pour une femme de couleur un charme de perversité tout baudelairien — Et enfin le moment où M. Loti a commencé d’écrire a été marqué par un retour offensif de la sensiblerie dans la littérature. Ce n’étaient, d’un bout du monde des lettres à l’autre bout, qu’attendrissemens, apitoiemens, et crises de larmes où se détendaient les nerfs exaspérés. M. Loti a suivi la mode. Il s’est apitoyé sur lui-même d’abord. Il nous a fait part de ses tristesses et de ses plus intimes souffrances. Il a évoqué