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avec un mélange de naïveté et de mièvrerie les souvenirs de sa petite enfance. Et pour nous intéresser plus sûrement à quelques-uns de ses personnages il n’a pas dédaigné de recourir aux moyens consacrés par lesquels on a de tout temps provoqué l’émotion facile. Le petit soldat qui meurt là-bas en héros, tué d’une balle tonkinoise, la vieille grand’mère apprenant le décès du dernier de ses petits-enfans, la femme du marin qui s’affole dans l’attente obstinée de celui qui ne reviendra pas, lequel d’entre nous aurait le cœur assez dur pour ne pas sentir se mouiller ses paupières au récit de leur lamentable histoire ? Ces épisodes mélodramatiques gâtent un livre tel que Pêcheurs d’Islande et y diminuent l’effet de parties admirables, par un voisinage de banalité.

Les professions de foi désenchantées, la fantasmagorie de l’exotisme, la sensualité maladive, les vains apitoiemens, rien de tout cela n’est essentiel au talent de M. Loti; c’est au contraire ce qui s’y est surajouté par le dehors, ce qui lui est venu d’ailleurs, des conventions littéraires acceptées, des influences dont il n’a pas su d’abord se défendre. M. Loti est tout à fait impropre au travail de la pensée abstraite, et son cerveau ne se prête pas aux procédés discursifs d’où naît l’idée. Il est pareillement incapable d’analyser et de traduire le sentiment. Toute psychologie est absente de son œuvre, où il n’y a pas de place pour l’individu. Son art ne procède que de la sensation; mais c’est la sensation avec toute son intensité, avec ses prolongemens infinis, telle que nous la trouvons chez les artistes et chez les voyans. Il est organisé pour recevoir uniquement l’impression des choses extérieures. Cette impression est si vive qu’elle en devient douloureuse, et que le plaisir, comme n’arrive toutes les fois qu’il est poussé jusqu’à ses extrêmes limites, se change en souffrance. Tous les pays ont leur charme qui leur est particulier, qui se découvre peu à peu ; et plus ce charme est subtil, plus intime est la façon dont Il nous pénètre et plus sûre est l’action qu’il exerce sur nos âmes prisonnières. M. Loti n’a pas aimé d’abord cette âpre et mélancolique terre de Bretagne ; finalement il s’est pris pour elle d’une si filiale tendresse qu’elle lui est devenue comme une patrie d’élection. Cette Afrique qu’il nous peint si inhospitalière avec ses chaleurs irrespirables et ses parfums empoisonnés, il en subit, au moment où il l’exprime, l’attrait meurtrier. Où que ce soit et dans quelque contrée qu’il s’attarde, il se plaint au bout d’un certain temps de souffrir d’il ne sait quelle oppression. Le milieu extérieur agit sur lui d’une façon trop directe, fait peser sur lui son enveloppe trop lourde, l’enserre dans des liens trop étroits et qui l’étouffent. Il sent que sa volonté s’y anéantit, que sa personnalité s’y absorbe, qu’une