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le salut de la patrie, que des oracles menaçaient — à mots couverts — de vagues calamités. Les voix disaient :


Tzeus est mort,
Esus dort,
Yésus veille,
Yésus vient.
L’ère nouvelle est commencée.
De la bise et du vent Cravann est menacée.
Unique est le Sauveur,
Le chef élu.
Le fils des Nuées ;
Mais qu’il soit pur,
Et que l’amour jamais ne trouble ni son corps ni son âme.


Fervaal, acceptant le pacte, s’était voué. Il avait juré de rester sage et l’était demeuré en effet. Ainsi le fils des Nuées se préparait par la continence au devoir éventuel de sauver un pays fabuleux d’un péril mal défini : et je n’affirme pas qu’à l’âme wagnérienne que nous nous sommes faite il soit impossible de sentir les beautés théogoniques, météorologiques, virginales et rédemptrices d’un tel commencement.

Or il advint que Fervaal, s’étant avancé vers le sud, y fut attaqué par des brigands et blessé. Passa près de lui d’aventure Guilhen, une belle Sarrasine, qui remarqua le blanc jouvenceau. En dépit de lui-même et des vœux qu’il avait prononcés, elle l’emmena dans son palais et le guérit ; de corps seulement, car elle apprit l’amour au Cévenol ingénu. Mais le rude Arfagard veillait. À son appel austère, Fervaal s’arracha des bras de l’enchanteresse. Guilhen furieuse déchaîna aussitôt contre la patrie de l’infidèle les hordes de ses Sarrasins. Cravann alors menacée — et de bien autre chose que « de la bise et du vent » — élut pour brenn le seul de ses fils qu’elle crût digne de la défendre. Hélas ! il ne l’était plus, et cela se vit bien à l’effroyable manière dont les Cravannais se firent battre.

Triste héros d’amour, triste héros de guerre, le pauvre Fervaal se retire sur les montagnes pour y pleurer, comme la fille de Jephté, sa virginité perdue et son pays anéanti. Arfagard l’ayant rejoint, il lui demande de le tuer en expiation de son crime. Il offre déjà la gorge au couteau du sacrificateur, lorsqu’il entend la voix de Guilhen. Du coup il ne veut plus mourir, et, le druide lui barrant le passage, il l’abat d’un revers de son glaive et tombe dans les bras de Guilhen, plus que jamais amoureuse de celui qu’elle a vaincu deux fois, avec toutes ses armes.

Mais l’âpre bise du Nord a glacé le cœur de Guilhen. Elle va mourir,