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elle meurt. Alors, la prenant dans ses bras, le héros se met en marche. Il gravit les pentes de neige. Plus haut, toujours plus haut il monte et finit par se perdre en plein ciel, saluant la mort rançon du monde, les temps prédits, l’aube nouvelle et le règne de la lumière et de l’amour.

Vous vous serez tout de suite aperçu que ce poème est moins imité de Scribe que de Wagner. Le wagnérisme en est authentique et pur. Le drame de Fervaal a tout du drame wagnérien : le symbolisme, la couleur légendaire, le mysticisme, la poésie obscure, les longueurs et les ennuis. Rien n’y manque : ni la théogonie, ni la cosmogonie, pas même la zoologie : un serpent tenant seulement la place du dragon. Nous retrouvons ici les idées mères qui nous sont le mieux connues, et tous les élémens psychologiques et moraux de ce qui fut l’idéal et commence à devenir le poncif Wagnérien. Tout, depuis la compassion (de Guilhen pour Fervaal blessé), le sauvetage obligatoire (de la patrie par Fervaal), jusqu’à la fatalité de l’amour et à cette misogynie affectée qui fait de Fervaal un frère des Parsifal, des Siegfried et autres héroïques coquebins. Guilhen l’enchanteresse pourrait bien être une cousine germaine — ou germanique — de Kundry, et les traits de Gurnemanz et de Kurwenal se combinent harmonieusement dans le personnage du prêtre Arfagard. Sur un seul point il a paru — à des juges plutôt austères — que le dénouement de Fervaal ressemblait encore trop au triomphe de l’amour-passion et de la volupté. Heureusement, à d’autres égards, M. d’Indy a pris sa revanche et renchéri sur son illustre maître. Je ne sache pas que Wagner se soit jamais avisé d’une généalogie plus immatérielle que celle de Fervaal, fils des Nuées. Et pour ce qui est des noms, je les trouve égaux, — sinon supérieurs, — en euphonie, en couleur légendaire et préhistorique, à ceux des personnages de la Tétralogie qui s’appellent le moins « comme tout le monde. » Des druides se nomment ici Grympuig et Lennsmor, et le nom de Ferkemnat qu’un des chefs celtes a choisi, et celui de Gwellkingubar, qu’un autre s’est donné, ont une grâce, comme disait Molière, dont il faut que vous demeuriez d’accord.

A ce poème wagnérien est liée avec une étroitesse wagnérienne la plus wagnérienne musique. On pourrait définir Fervaal ce qui a été fait de mieux après et d’après Wagner. Jamais rien ne donna comme Fervaal l’idée de ce qu’est en musique une copie ; copie extraordinairement fidèle non pas de telle ou telle œuvre, mais de l’œuvre entier d’un grand homme. Fervaal est une merveille de photographie ou de phonographie. On n’a jamais appliqué et sans doute on n’appliquera jamais