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chant grave, profond, parfaitement exempt de banalité comme de recherche et de mièvrerie. Que s’agit-il de représenter ou plutôt d’annoncer ici avant que le rideau se lève? Le repos charmé du héros convalescent en des jardins d’amour. Or je ne sais trop s’il y a dans l’enroulement continu de cette mélodie plus de repos ou plus de charme. Encore une fois cela est grave, mais cela est doux, d’une intime, d’une intense douceur, et qu’on sent posséder tout entier l’adolescent auquel une femme, presque une déesse, fit ces voluptueux loisirs.

Enfin il est une espèce de mélodie dont une fois au moins le musicien de Fervaal s’est servi avec infiniment de bonheur : c’est la mélodie populaire. Je serais bien étonné si le rendez-vous donné par Arfagard à Fervaal « devant la porte de pierre », si les quelques notes d’un berger qui va par le pays pour convoquer les chefs, si l’un et l’autre appels n’étaient pas modulés sur une mélopée locale, peut-être cévenole. Surtout la courte scène du berger est exquise. Béni sois-tu, petit pâtre gris et comme vêtu de rêve, qui, passant dans le brouillard argenté, nous as fait oublier le berger, le semeur et tous les paysans de Messidor! Ici du moins nous ne sommes dupes ni d’un décor, ni d’un geste, ni du souvenir d’un tableau. La poésie et la beauté ne sont que musicales. C’est la délicieuse cantilène, c’est l’harmonie — à peine, car elle se réduit au plus léger contrepoint — c’est le vague d’une mesure errante, un accord flottant, des sonorités éteintes, une cadence tardive et qui ne conclut pas; enfin c’est la musique seule, qui dit en quelques lignes tout ce que la musique sait dire de la nuit, de la brume et des bois.

Fût-ce des pages les plus « avancées » de Fervaal, on ne saurait prétendre que la mélodie soit absente. Cherchez-la — à l’orchestre bien entendu — et vous la trouverez. Vous la trouverez jusque dans le grand et trop long duo de Fervaal et de Guilhen au premier acte, en cette série de récits — je ne dis pas de récitatifs — qui se suivent, mais sans se ressembler. Oui, même ici la mélodie est perceptible. Fervaal racontant ses destins à Guiïhen, comme à Sieglinde Siegmund, les lui raconte en trois périodes musicales diverses de dessin, de couleur, de mouvement, reliées seulement et pareilles par un cri qui les termine toutes trois, un beau cri de regret vers la joie et la liberté de la jeunesse. Mélodique aussi, mélodique à la Wagner, l’ensemble à deux voix l’épisode « assis » qui maintenant en tout duo d’amour correspond au nocturne du duo de Tristan. Enfin, dans le duo toujours, s’il est certain que le scherzando caractéristique de Guilhen, dont nous