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ressources naturelles. Deux tiers de cette somme, s’ils étaient employés à la construction de chemins de fer, seraient pour le peuple espagnol une source de plus grande richesse que n’en a ouvert à ses visions Hernan Cortés. »

Qu’est-ce que l’Espagne tire de l’île? Pas même 1 pour 100 du prix que les États-Unis consentent à lui en donner. Et, au demeurant, n’y a-t-il pas des guerres justes? N’en est-ce pas une, que la lutte où l’oppression poussée aux extrêmes contraint un peuple pour secouer le joug de ses oppresseurs? Sans doute, le Président est inflexible dans sa détermination de garder la neutralité. Mais ne sommes-nous pas « en un siècle d’aventures » ? et, les Cubains se soulevant, quel pouvoir humain empêchera les citoyens ou des citoyens américains de les secourir? Si l’Espagne, réfractaire à son intérêt et animée par son orgueil têtu, par un faux sentiment de son honneur, refuse de vendre Cuba aux Etats-Unis, alors se posera la question : Que doit faire le gouvernement américain? »

Ce qu’il devra faire? pour en décider, les trois ministres réunis invoquent encore une loi physique, la première des lois naturelles qui obligent les États comme les individus : la loi de la conservation personnelle. « Notre histoire nous défend d’acquérir Cuba sans le consentement de l’Espagne, à moins que l’acquisition ne se justifie par la loi de notre propre conservation. » En conséquence, « quand nous aurons offert pour Cuba à l’Espagne un prix très supérieur à sa valeur actuelle et que ce prix aura été refusé, la question se posera ainsi : Cuba espagnole met-elle en un péril certain notre paix intérieure et l’existence même de notre chère Union ? — Si oui, toutes les lois humaines et divines nous justifieraient de l’arracher à l’Espagne, étant en notre pouvoir de le faire, et cela en vertu du même principe qui justifierait un individu d’abattre la maison de son voisin, lorsqu’il n’aurait plus un autre moyen de préserver de l’incendie sa demeure, à lui[1]. » Jam tua res agitur...

Le Président et M. Marcy durent trouver que c’était aller trop vite en besogne, et en prendre trop à l’aise avec le voisin dont la maison brûle. Ils rappelèrent M. Soulé à la modération diplomatique. Si le moment était favorable pour traiter de l’achat de Cuba, qu’il en traitât; s’il ne l’était point, qu’il remit à une meilleure

  1. Mémoire de MM. James Buchanan, J.-J. Mason, et Pierre Soulé, du 18 octobre 1834. — Sedano, p. 137-144.