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promesse que son traitement serait doublé : il fallut quatre années pour que cette promesse fût tenue, et ce ne fut qu’à partir de 1804, qu’il reçut 800 thalers. Ces humbles chiffres dégagent une impression d’autant plus pénible, que plus tard Gœthe les avait oubliés, et racontait à Eckermann que, dès son arrivée à Weimar, Schiller avait reçu du duc une pension annuelle de 1 000 thalers, qui devait être doublée « au cas où il serait empêché de travailler par la maladie. » Il ne faudrait point toutefois tirer de ces données des conclusions désobligeantes pour Gœthe : son ami mettait une délicatesse extrême à l’entretenir de ses difficultés d’existence dont peut-être il ne connut que trop tard la triste réalité.

De bonne heure cependant, l’amitié des deux poètes avait pris un caractère d’alliance offensive qu’elle ne devait heureusement pas conserver : on connaît l’histoire des Xénies, ces vives épigrammes préparées en commun, avec des raffînemens de préméditation, que Schiller annonçait à Kœrneren ces termes : « On déclamera terriblement contre elles, mais on se jettera avidement dessus », et qui soulevèrent en effet tant de colères parmi les écrivains allemands. La personnalité des « Dioscures « s’y confondit si bien qu’eux-mêmes auraient à peine distingué, dans l’œuvre commune, ce qui revenait à chacun[1]. Gœthe en avait eu la première idée ; Schiller l’accepta avec enthousiasme ; ils l’exécutèrent ensemble, non sans de malicieuses joies ; et, de même qu’ils avaient partagé le plaisir, ils partagèrent la peine : car les réponses ne manquèrent pas ; les poètes atteints, ou leurs amis, rendirent les coups avec une extrême violence ; il surgit une incroyable abondance de contre-xénies. Quelques-unes sont, à peu près spirituelles, comme le distique qui reprochait aux deux amis les libertés de leur métrique.


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A Weimar et à léna l’on fait des hexamètres comme celui-ci,
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Mais les pentamètres sont encore plus excellens.


La plupart étaient simplement grossières. Et la répartition des injures fut inégale : par sa situation, par son caractère, par sa vie, Gœthe offrait aux tireurs une plus large cible. Il fut le plus

  1. Gœthe disait à Eckermann : « Les Xénies de Schiller étaient acérées et frappaient fort ; les miennes, au contraire, étaient innocentes et faibles. »