Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 141.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvez me le donner[1]. » C’est peut-être à Schiller que nous devons Faust ; mais quelle part revient à Gœthe dans l’exécution de Wallenslein, de Marie Stuart, de Guillaume Tell, dont il rêva un instant de faire une épopée et qu’il céda à son ami ? En vain des envieux et des médiocres essaient-il de troubler cette union, qui, comme toutes les belles choses humaines, déconcerte et froisse la vulgarité moyenne. Elle résiste à leurs intrigues. Kotzebuë ourdit un complot très savant pour exciter la jalousie dans des âmes qu’il juge d’après la sienne : il en est pour ses vilains calculs. Gœthe et Schiller s’étaient élevés bien au-dessus de la rivalité : ils avaient porté leur amitié à une hauteur où les intrigans ne pouvaient plus l’atteindre, d’où même elle ne les apercevait plus. Pénétrés l’un de l’autre, également, bien que différemment supérieurs à leur milieu, ayant de leur art une conception qui les plaçait à l’abri des misères de la concurrence, ils ne formaient presque qu’un génie, qu’une intelligence, qu’une âme. Ce fut vraiment un beau spectacle, un de ceux qui honorent les hommes, et le souvenir, à travers leur correspondance, en rayonne sur leur histoire. La mort prématurée de Schiller y mit fin : Gœthe ne cessa point de le regretter, ne manqua jamais une occasion d’honorer sa mémoire, et demeura marqué de l’empreinte que le génie de son ami avait imposée au sien.


III

L’amitié de Schiller contribua certainement pour une large part à réveiller le génie de Gœthe, entré après le Tasse dans sa période de lassitude et de sommeil. En 1796, il achève enfin ses Années d’apprentissage de « Wilhelm Meister » qui restaient sur le chantier depuis 1777. A peine le roman achevé, il se met avec une ardeur très grande à son poème d’Hermann et Dorothée, commencé en septembre 1794, dont le dernier chant est envoyé à Schiller le 3 juin de l’année suivante. Ensuite, c’est une véritable floraison de poèmes et de ballades, écrits pour l’Almanach des Muses, un bouquet d’une fraîcheur et d’une richesse merveilleuses. Schiller lui donne la réplique : le courrier qui circule

  1. 11 février 1801.