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de Minna Herzlieb, dont la gracieuse enfance intéressait Gœthe. En 1807, pendant un séjour qu’il fit à Iéna, il s’aperçut tout à coup que la petite fille était devenue une jeune fille, et une jeune fille ravissante, avec de grands yeux sombres, une expression très douce, plutôt mélancolique, de beaux cheveux qu’elle roulait en papillotes, selon la mode du jour : une figure romantique, en harmonie avec une maison où l’on goûtait fort les vers de Klinger, d’A. W. Schlegel et de Zacharias Werner. Gœthe avait cinquante-huit ans ; elle, dix-huit. Il oublia son âge, il sentit courir dans ses veines l’ancienne flamme de Werther. Le soir, dans le salon du bon libraire, on récitait des sonnets : il en composa toute une série, sur le livre de Pétrarque, en l’honneur de la nouvelle Laure. Comme le poète des Rime, il joua agréablement sur le nom de la bien-aimée, qui s’y prêtait[1] :

« Ce sont deux mots, courts et faciles à dire, que nous prononçons souvent avec une douce joie ; mais nous ne connaissons point clairement les choses dont ils portent l’empreinte particulière.

« C’est une grande jouissance, dans la jeunesse et les vieux jours, d’embrasser hardiment l’un par l’autre ; et, si l’on peut les dire ensemble, on exprime un délicieux contentement.

« Mais aujourd’hui, je cherche à leur plaire, et je les prie de faire par eux-mêmes mon bonheur ; j’espère en silence, et pourtant j’espère obtenir

« De les bégayer comme le nom de ma bien-aimée, de les contempler tous deux dans une seule image, de les embrasser tous deux dans un seul être. »

Il se plut aussi à raconter l’histoire de l’aimable enfant qu’il avait vue grandir :

« Gentille petite enfant, tu courrais avec moi par les champs et les prairies, dans les jours de printemps.

« Une fillette mignonne comme toi, je voudrais, avec de tendres soins, la bénir en père et lui bâtir une maison.

« Et comme tu commençais à observer le monde, ton plaisir fut le soin du ménage. » « Une sœur pareille et je serais tranquille ! Comme je pourrais me fier en elle, elle en moi ! »

« Rien ne peut désormais arrêter sa belle croissance ; je sens dans mon cœur les brillans transports de l’amour… La presserai-je dans mes bras pour calmer ma douleur ?

  1. Herzlieh, cœur, amour.