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Chinoise pourra donc se trouver fort heureuse, là où étoufferait une Européenne occupée de développer son moi.

Ce qui, d’ailleurs, garantit à la femme, sinon le bonheur, du moins une situation respectée et prépondérante, c’est d’avoir des fils : le mariage étant institué en vue de la postérité, si la femme trompe les espérances qu’on a fondées sur elle, on admet que sa stérilité est un châtiment céleste et on lui en veut de prendre la place qu’une autre tiendrait mieux ; le jour, au contraire, où elle a des enfans, des fils surtout, elle y trouve d’abord cette jouissance d’affection, ces occupations pénibles et chéries que les mères apprécient en Asie comme en Europe ; mais de plus elle prend au foyer une place où ni beauté, ni intelligence, ni patience n’auraient pu l’asseoir : elle se trouve rapprochée des ancêtres, à qui elle a donné l’héritier qu’ils réclamaient, et appelée à devenir elle-même ancêtre un jour ; une personnalité religieuse commence à se développer en elle. Plus elle aura de fils, plus elle sera en faveur auprès des beaux-parens et du mari; d’ailleurs, si la famille est déjà nombreuse et qu’il survienne une grossesse, gênante pour accompagner en voyage le mari qui est mandarin, par exemple, le père qui, en pratique, a droit de vie et de mort sur ses enfans vivans, trouve bien plus naturel d’exercer ce droit sur l’enfant à naître, et il fait provoquer l’avortement : l’on voit partout des affiches recommandant des médicamens à cet usage. Mais habituellement, une nombreuse postérité est tenue pour une marque de la protection céleste et la mère qui lui a donné le jour, est d’autant plus honorée. A mesure qu’elle avance en âge, elle croît en importance, ses fils s’établissent autour d’elle avec ses brus et elle règne à son tour, comme régnait sa belle-mère, au jour de son entrée dans la maison conjugale. Et lorsque enfin, épouse et mère, après avoir dignement rempli ses devoirs pendant une vie plus ou moins longue, elle est arrivée à son dernier jour, elle repose dans un tombeau placé à la droite de celui de son mari, comme aussi l’on met à droite dans la châsse la tablette où réside son esprit: elle veille de là sur ses descendans et atteint après la mort à une personnalité religieuse analogue à celle de l’homme.


IV

Le type de la femme qui travaille est moins caractérisé que celui de la femme riche, et la distance est vraiment assez grande