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Le droit de vendre entraîne naturellement le droit de louer, de mettre en gage, de vendre à réméré ; pour tous ces contrats, un acte est dressé, est remis à l’acheteur et lui sert de titre. Dans beaucoup de régions, il y a des villes qui sont connues comme marchés d’esclaves ; Pi-tsie au Koeï-tcheou, Thang-chan, près de Tien-tsin en sont des exemples : à Thang-chan, les parens qui veulent vendre leur fille la parent de leur mieux, l’exposent dans une rue fréquentée, et père, mère, aïeuls, frères aînés se relaient pour faire l’article aux passans ; le prix moyen est de deux ou trois tiao[1] par année d’âge ; à Pékin, une fille de douze ans vaut de trente à cinquante taëls, une de dix-huit ans, pour peu qu’elle soit bien tournée, se paie de deux cent cinquante à trois cents[2] ; dans beaucoup de localités, les ventes se traitent discrètement, par l’intermédiaire d’entremetteurs ; à Canton, des commerçans exportent des femmes et les font passer en douane sous de fausses déclarations. Parfois les autorités essaient d’enrayer ce commerce, mais jamais d’une façon ni énergique ni efficace : d’ailleurs, jusqu’au XVIIe siècle, l’État faisait vendre à son profit la femme et les enfans du fonctionnaire qui mourait en laissant un déficit dans sa caisse. Les esclaves sont donc nombreuses, il n’est pas rare d’en trouver vingt ou vingt-cinq dans une maison riche ; théoriquement, elles sont la chose du maître qui peut les employer comme il l’entend, pour son plaisir ou pour son intérêt, en faire des servantes, des concubines, les louer pour tel usage qu’il lui plaît ; il ne peut les tuer, cependant ; mais si elles meurent des suites de châtimens exagérés, il n’est pas puni. La pratique est plus humaine : les esclaves des deux sexes ne sont pas habituellement maltraités : de même que les servantes à gages, les femmes esclaves sont logées, nourries, chauffées ; elles reçoivent des cadeaux trois fois par an ; si les servantes sont payées environ trois ou quatre francs par mois, les esclaves sont vêtues et blanchies. Le maître ne peut dépouiller l’esclave de ce qu’elle a reçu en gratification et, au moyen de son pécule, elle se rachète, s’il y consent ; il n’a le droit d’exiger dans ce cas que le remboursement du prix d’achat porté sur le titre ; les affranchissemens sans compensation ne sont pas rares. Quand des esclaves ont été longtemps dans une famille, elles acquièrent sur la maîtresse beaucoup d’influence et vivent avec elle dans une intimité respectueuse

  1. De 3 francs à 4 fr. 50.
  2. De 120 francs à 200 francs ; de 1 000 francs à 1 200 francs.