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aimable qui est en faveur ces années-ci, et dont Viveurs, la Douloureuse et la Carrière sont sans doute les chefs-d’œuvre. Et Snob nous a divertis, mais il se pourrait aussi que Snob nous rendit indulgens à la première bonne maçonnerie dramatique, — avec commencement, milieu et fin; exposition, nœud, péripéties et dénouement, — dont on nous fera la surprise; jusqu’à ce que, de nouveau, la maçonnerie nous dégoûte.

Par une simplicité et une sincérité qui ne sont qu’à elle, Mme Jeanne Granier a fait vivre la figure trop sommairement ébauchée d’Hélène Dangy, la petite bourgeoise devenue la femme d’un écrivain à la mode. M. Guitry a été merveilleux dans ce nouveau « Guitry » qu’est le mari d’Hélène; il semblait improviser son rôle : c’est tout dire. Mlle Mégard, très en progrès, a été une élégante petite duchesse, sèche et fine comme il convenait. Et l’on doit citer avec éloge MM. Marcel Luguet, Le Français et Paul Plan.


Cette année comme les autres, pendant la semaine sainte, les établissemens de plaisir ont été tout à la Passion. Il n’est presque pas un théâtre « littéraire » qui n’ait de nouveau crucifié Jésus. Mais, aux anciens fournisseurs d’évangiles artistiques s’est joint, pour notre religieux divertissement, un félibre subtil et voluptueux, venu de la colonie phocéenne où abordèrent les Maries nues: M. Edmond Rostand. Je vous résumerai avec une honnête candeur cette piquante Samaritaine que l’auteur qualifie d’« évangile en trois tableaux » et qui a transporté d’un pieux enthousiasme plusieurs chambrées de chrétiens.

On voit d’abord paraître au prologue, la nuit, près du puits où viendra la Samaritaine, les ombres des trois patriarches Abraham, Isaac et Jacob. Ces ombres vénérables s’expriment avec une grâce presque badine et qui ne dédaigne pas la pointe :


Poussé par la brise des nuits
Et vagabond jusqu’à l’aurore,
Je viens pour des fins que j’ignore
Comme un fantôme que je suis...


Et c’est un cliquètement menu de jolis, très jolis petits vers, à rimes triplées et même quintuplées : telles les enfilades de rimes des Poésies fugitives de Voltaire ou des Déguisemens de Vénus du chevalier de Parny. Et les patriarches annoncent, dans ces coquets petits vers, que quelque chose de très grand va se passer en ce lieu. Ces vieillards sont gais et fins. L’imagination puérile, mais fleurie, du patriarche