Jacob s’amuse à l’idée que le premier rayon du jour va dissoudre leurs ombres falotes. Écoutez ces versiculets délicieux :
Et bientôt il ne restera,
Des trois ombres qui furent là,
Que trois blancheurs diminuées,
Trois grandes barbes voltigeant,
Puis trois petits flocons d’argent
Qui fondront comme trois buées!...
Les trois barbes évanouies, nous assistons à une scène, très bien faite, qui nous expose les misères, les discordes et l’aveuglement des habitans de Sichem. Arrive Jésus, — suivi de ses apôtres, grognons et revêches (comme ils seront tout le long du drame) et qui s’étonnent de l’entendre bénir Samarie. Ne leur a-t-il pas dit, naguère, d’éviter les Gentils et les Samaritains ? Alors, avec un luxe d’images dont l’élégance ornée prête un air de suffisance un peu béate à une condescendance qui, dans l’Évangile vrai, paraît simplement divine, Jésus leur explique qu’il a voulu ménager leur intelligence et qu’il n’a pu tout leur enseigner du premier coup. Puis il leur conte la parabole du bon Samaritain, en vers libres, sautillans et faibles; de sorte qu’on dirait une fable de Florian, ou de Lachambaudie.
Là-dessus, il les envoie aux provisions et reste seul auprès du puits. Il voit venir de loin la Samaritaine, sa cruche sur l’épaule. Il en profite pour se montrer sous le jour d’un fin critique d’art, d’un connaisseur habile de la beauté des formes.
Voici bien, ô Jacob, le geste dont tes filles
Savent, en avançant d’un pas jamais trop prompt,
Soutenir noblement l’amphore sur leur front.
Elles vont, avec un sourire taciturne.
Et leur forme s’ajoute à la forme de l’urne,
Et tout leur corps n’est plus qu’un vase svelte, auquel
Le bras levé dessine une anse dans le ciel!...
Ces vers sont exquis. J’attendais que M. Brémond, en les détaillant, eût ce geste d’atelier, habituel aux sculpteurs, cette caresse de la paume qui palpe les contours ou ce coup de pouce dans l’air, qui achève de les modeler. Puis, avec un tendre à-propos, Jésus, devant la silhouette de la courtisane, songe que sa mère Marie « eut un galbe pareil », quand, jeune fille, elle allait aussi à la fontaine. Après quoi, côtoyant presque cette pensée renanienne, que « la beauté vaut la vertu », il ajoute, avec un dilettantisme supérieur :