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Viète trouva la solution. Henri III, suivant ses conseils, prononça enfin une sentence favorable à Françoise, et équitable pour tous : « Ordonne qu’il ne puisse être fait aucun blâme à Françoise de Rohan pour ce qui lui est advenu. » Ce début n’est pas heureux ; le droit de blâme est imprescriptible pour les peuples, comme celui de grâce pour les rois ; et ils en usent plus souvent. Mais, faisant plus et mieux pour la belle cliente de Viète, le jugement l’autorise à contracter un second mariage, à quoi elle ne pensait pas. C’est un trait de génie. Un second mariage en suppose un premier, qui suffit pour légitimer un fils ; on pourra désormais invoquer la maxime :

Parole, puisqu’un roi l’a dite,
Ne doit pas être contredite.

L’autorisation donnée à Françoise n’intéressait en rien le duc et la duchesse de Nemours ; la sentence ne leur fut pas signifiée. Pour donner un nom au fils de Françoise, le roi érigea en duché la sénéchaussée de Loudun, et nomma sa cousine duchesse de Loudunois en lui assignant cinquante mille livres de revenu, pour la consoler sans doute de « ce qui lui était advenu. »

À cette époque où, comme l’a dit prosaïquement Voltaire :

Valois pressait l’État du fardeau des subsides,

lorsque le peuple surchargé payait triples gabelles et quadruples tailles, une telle générosité fut jugée sévèrement.

La décision qui légitime l’enfant né d’un mariage promis était moins paradoxale et moins étrange qu’elle ne le semble aujourd’hui. Le duc de Nemours s’était mis dans un très mauvais cas, et l’affaire, pour un moindre personnage, aurait pu devenir terrible. On lit dans le Journal de l’Estoile :

« Le mercredi 11 août 1604, un maître des comptes de la ville de Rennes fut condamné par arrêt de la cour à épouser en face de l’Église une veuve à laquelle il avait promis mariage et, sous cette couverture, lui avait fait un enfant. Il fut dit dans cet arrêt, ce qui est remarquable, qu’il l’épouserait tout à l’heure ou, faute de ce faire, que dans deux heures avant midi il aurait la tête tranchée. Ce qu’il fut contraint d’effectuer, et furent mariés le matin dans l’Église Saint-Barthélémy. Le président Mole, en prononçant l’arrêt, lui dit ces paroles : « Ou mourir, ou épouser ! telle est la volonté de la cour. »