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Avec les Anglais du XVIIIe siècle, très peintres à la fois et très peu écrivains, il n’y a pas de recherche d’images simultanées. Il n’y a qu’une recherche : la vie. Lorsque, entrant dans cette salle et vous tenant encore sur le seuil, vous comparez d’un coup d’œil les maîtres français qui sont sur le panneau de droite et les maîtres anglais qui sont sur celui de gauche, vous mesurez du même coup toute la distance qu’il y a entre les deux nations. Regardez ce portrait de la vicomtesse Bulkeley, auprès de la porte, par Hoppner, le rival de Lawrence, puis celui de lady Caroline Price, en corsage noir, sur fond rouge, à perruque grise, par Reynolds. L’art peut dire autre chose que cela, mais cela, il ne peut pas le dire mieux, et la littérature, elle, ne peut pas le dire du tout. C’est le triomphe de la vie dans la matière. On n’a pas envie d’écrire devant de telles choses : elles donnent envie de peindre et, si l’on essayait, elles désespéreraient de continuer! Les plus grands noms de maîtres viennent à la pensée et l’on ne s’étonne plus de ce mot enthousiaste de Gainsborough mourant à Reynolds : « Nous irons tous au ciel — et Van Dyck sera du voyage ! »

Il semble qu’entre le panneau français et le panneau anglais un souffle puissant ait passé qui ait secoué les fards, balayé les bibelots mythologiques, emporté les fanfreluches. Les attitudes sont simples et calmes; les accessoires effacés et discrets. Les bras, levés ou étendus ou déployés chez Nattier et Van Loo, retombent sur les genoux, les mains ne s’offrent plus inutilement à l’admiration. Les femmes sont admirables de santé, de force et d’éclat, mais elles ne cherchent ni à en imposer, ni à plaire. Elles se contentent de vivre. Elles se tiennent droites dans l’orgueil tranquille de leur sang, de leur race et de leur pays. Elles envisagent froidement, de leurs yeux brillans, les hommes et l’avenir. Mais elles taisent cet orgueil. Elles ne le nient pas pourtant. En vraies Anglaises, elles ne profèrent ni mensonges ni aveux. Pas un geste d’ostentation, pas une pose hautaine ou voluptueuse. Si elles portent des costumes d’une élégance hardie, c’est avec aussi peu de coquetterie que le ferait un mannequin. Les Romney, les Hoppner et les Reynolds restituent à l’attitude de la femme sa simplicité. Désormais, elle dominera dans ces portraits du XIXe siècle. Il y aura des exceptions, mais on ne verra plus les bergeries à la Deshoulières ni les mythologies à la Quinault. A mesure que nous avançons vers les David et les Goya, les Gérard, les Ingres et les contemporains, nous trouvons qu’on revient,