— comme la destinée même de celui qu’on appelait « le fils de l’Homme » dans les poèmes de la Restauration. Sans doute bien des enfans font des questions embarrassantes, troublantes, mais les questions que posait celui-là, tous les princes de l’Europe détournaient la tête en les entendant. On les chuchotait dans les chancelleries; on les répétait dans les chaumières : on leur inventait des réponses extraordinaires et dilatoires. On en prévenait le retour par des spectacles mensongers. Pour déjouer le regard profond qui éclaire toute cette tête, ces yeux où l’on tremblait de voir la lueur qui durant vingt ans avait affolé les multitudes, il avait fallu écarter les serviteurs, changer des uniformes, inventer des géographies, mutiler l’histoire, en effacer le plus grand nom des temps modernes : on ne pouvait dire à cet enfant frêle et pensif la vérité ni sur son père, ni sur sa mère, ni sur le passé, ni sur l’avenir, ni quel était son devoir, ni quelle était sa fortune, ni quelle était sa patrie. Il devait regarder de cette façon, de ce regard d’aiglon qu’on n’a pas capturé assez tôt pour qu’il ne se souvienne, le jour où il dit à son grand-père : « On m’appelait autrefois le roi de Rome... Mais qu’est-ce que c’est être roi de Rome? » et où l’empereur d’Autriche lui répondit : « Vous êtes roi de Rome comme je suis roi de Jérusalem... »
Avec le duc de Reichstadt, nous sommes entrés dans la série des portraits d’enfans graves, trop sérieux, revêtant des complets rouges pour aller sur d’inconfortables rochers, lire M. de Chateaubriand et entendre couler des sources comme le Master Lambden de Lawrence, ou bien regardant en extase, comme le portrait de petite fille de Ricard. On ne reverra plus les étourdis joufflus de boucher. Même quand ils ont de l’abandon, les enfans du XIXe siècle, gardent une gravité précoce. Ce n’est plus le décorum voulu des bambins de Van Dyck ou de Velasquez. On ne leur enseigne plus à se tenir bien droits, et à s’amuser sans rire, sans courir, sans crier, sans sauter et sans se tacher. Mais après avoir joué quelques minutes, ils reviennent d’eux-mêmes prendre devant le peintre des attitudes pensives de blonds vieillards. Pour nous en consoler, retournons devant le Master Hare de Reynolds. Regardons-le encore, le gracieux petit être dont le maître eût pu faire un chérubin s’il eût voulu, et qu’il s’est contenté de ranger parmi les jeunes sujets de Sa Majesté Britannique. Examinons comme son modelé expéditif, hardi,