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économique proprement dite et aussi l’appréciation délicate de leur état moral.

À quelque période que l’on se place, et encore actuellement, on peut affirmer sans la moindre réticence qu’il s’agit de bien braves gens. Jamais un meurtre n’a été commis ; jamais, de mémoire d’homme, un habitant de la localité n’a été flétri par la cour d’assises ou le tribunal correctionnel d’Aix ; si les vols ne sont pas inconnus dans le pays, c’est que les campagnards, quoique relativement épargnés par les rôdeurs à cause de l’éloignement des grandes voies de communication, en sont les victimes, non les auteurs. Il serait puéril de s’attacher à quelques actes insignifians de grappillage, presque toujours commis inconsciemment, par ignorance ou laisser-aller. Au point de vue de la religiosité, notre éloge sera moins absolu. Évidemment, en dehors de quelques communes de l’arrondissement d’Arles, le paysan des Bouches-du Rhône n’est pas dévot. Le temps n’existe plus où, la paroisse ayant été enfin dotée d’un recteur après un interrègne de quelques années (avril 1821), des délégués allèrent quérir à Aix le nouveau pasteur et lui préparèrent une entrée triomphale. Juché sur un petit mulet prêté par un paroissien de bonne volonté, notre jeune ecclésiastique, à partir des limites de son domaine, dut subir de bruyantes salves de mousqueterie, contempler de joyeuses farandoles et écouter, bon gré, mal gré, la totalité des couplets d’une chanson de bienvenue, en patois, dont l’auteur, cordonnier de son état et poète rustique à ses heures, avait mentionné sans exception, dans ses vers, toutes les familles de la paroisse. De nos jours, pour bien des raisons, on se montrerait plus froid. La petite église ne se remplit guère qu’aux fêtes de Noël et de Pâques. Insistons encore, pour achever l’esquisse, sur l’absence complète d’hypocrisie d’une part, d’intolérance d’autre part[1].

Jusqu’à la chute de l’Empire, les habitans de notre hameau votaient avec ensemble pour les candidats officiels, et leurs voix contribuaient à annuler les suffrages d’opposition émis par la ville d’Aix ; plus tard, par l’effet de l’habitude acquise, la même tendance s’est encore manifestée, de moins en moins accusée, jusqu’après le Seize Mai. Sur la période actuelle, contentons-nous

  1. Observons que les noces, dans les campagnes de Provence, s’accomplissent en l’absence de toute plaisanterie grossière, et que jamais les obsèques ne servent de prétexte à des « beuveries ».