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de dire que les électeurs, comme beaucoup de leurs concitoyens provençaux, ne conforment pas toujours leurs votes municipaux à leurs votes politiques. Fait très curieux (explicable par la lecture constante de journaux de Marseille à cinq centimes), les braves gens, quoique très appauvris par l’avilissement actuel du prix du blé, leur principale récolte, quoique menacés éventuellement d’une gêne sérieuse si cet avilissement persistait, ne réclament point de droits protecteurs, et, tout en regrettant le passé et gémissant en vue de l’avenir, croient de bonne foi aux bienfaits du libre-échange.

Aucune misère dans le pays : ni pauvres, ni mendians indigènes. Du temps de l’Empire et jusque vers 1880, l’aisance était générale : actuellement elle est moindre. Malgré le nombre très considérable de masures, naguère habitées, aujourd’hui désertes, l’inculture n’accomplit pas de grands progrès; quelques émigrans ont vendu leurs terres à des voisins, mais, en général, c’est un frère, un parent resté fidèle au pays, qui se charge de soigner l’ensemble de plusieurs parcelles. Cependant, il est permis de croire que plus d’un terrain vague des flancs de la Trévaresse, livré de nos jours à la jachère, a porté récolte jadis. Le nombre des valets attachés à l’exploitation des grandes fermes ou « ménages» est bien moindre qu’autrefois, comme le témoigne l’exagération des salaires : quatre ou même cinq cents francs, s’ils sont bons muletiers. (Nous sommes loin des neuf louis de 24 francs de la Restauration.) Souvent aussi le manque de journaliers commence à se faire sentir ; il faut les payer 2 fr. 50 en hiver, 3 francs en été, s’il s’agit de journées isolées[1].

Le cultivateur qui, seul avec sa famille ou avec l’aide éventuelle d’un petit nombre de bras, afferme ou possède un domaine d’étendue moyenne convenablement situé, récolte du blé, des amandes, un peu de pommes de terre, vend quelques agneaux et se nourrit en grande partie avec les produits récoltés sur le fonds qu’il exploite, non seulement se tire d’affaire, mais peut placer quelques économies à la caisse d’épargne d’Aix. Ceux qui ont la chance de posséder des biens « à l’arrosage » amassent davantage.

  1. Voici quelques aperçus des anciens salaires. Sous le Consulat, une journée d’homme, en été, se payait 1 fr. 20 ; à la fin de l’Empire ou pendant la Restauration, 1 fr. 50; sous Napoléon III, 2 fr. 50.
    Cotées 40 centimes au début du siècle, les journées de « filles » s’élèvent à 60 ou même 75 centimes sous la Restauration.