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dans les idées et dans les mœurs. Bavard, frivole et licencieux, Brantôme est sans doute un pauvre esprit; sur les événemens dont il a été le témoin, sur les personnages qu’il a mis en scène, il ne faut lui demander aucune vue sérieuse ou profonde ; la passion du savoir, l’inquiétude intellectuelle, l’âpreté des luttes religieuses, tout ce qui fait la grandeur du XVIe siècle lui a pareillement échappé. Mais il se produit au temps de Brantôme un fait gros de conséquences : c’est l’avènement de la vie de cour. Le gentilhomme ordinaire de la chambre des rois Charles IX et Henri III en a compris la portée et subi plus que personne l’influence. Il est à un tournant de l’histoire de la société et des lettres, de la morale et du goût. Aussi peut-il être curieux de rechercher comment chez cet aïeul des Bussy, des Tallemant et des Hamilton, les élémens nouveaux apportés par la cour des Valois et empruntés pour la plupart à l’Italie se superposent au vieux fond traditionnel et national, s’y mêlent et le modifient.

Homme d’épée, grand chercheur de hasards et coureur d’aventures, hardi et sans scrupules, Brantôme est l’héritier direct des seigneurs de l’époque féodale, de la race des barons vaillans, indisciplinés et pillards. Au temps de nos premiers troubles, il ne lui semble pas que l’état de nos affaires lui offre assez d’occasions de se remuer et de suffisantes chances de coups. Il promène hors de France son humeur voyageuse et batailleuse, en Italie, au Maroc, à Malte, en Grèce et autres « lieux estranges » dont il préfère cent fois le séjour à celui de sa patrie, « estant du naturel des tabourineurs qui ayment mieux la maison d’autruy que la leur. » A Malte, la vie active des chevaliers lui plut tellement qu’il fut sur le point de prendre la croix. De retour en France, il assiste à maint fait d’armes; il est d’une vaillance à toute épreuve. Théoricien du duel, n’écrit sur la matière un ample discours. Le respect de la vie humaine est une faiblesse qui ne l’effleure même pas ; il n’est pas homme à en vouloir aux gens parce qu’ils ont sur la conscience « quelque petite jeunesse d’un meurtre ». Tout ce qu’il demande, c’est que le coup soit exécuté avec audace et succès comme il convient à un « habile et sage mondain ». Même il y a un cas où il est d’avis que le meurtre s’impose avec toute l’autorité d’un devoir : c’est le cas de vengeance. Qu’on ne lui parle pas de charité chrétienne et de pardon des offenses ! « Cela est bon pour des ermites et des récollez, mais non pour ceux qui font profession de vraye noblesse et de porter une espée au costé et leur honneur sur sa poincte. » A l’appui de son dire, il cite une anecdote dont il a été le témoin et qui a sa pleine approbation. Un gentilhomme ferrarois avait été assassiné; il laissait des enfans.