devoir. Mais il n’est fidélité qui résiste à de trop rudes épreuves. Après la mort de son frère, il avait espéré lui succéder dans la charge de sénéchal de Périgord, Henri III, qui avait donné sa parole, y manqua. Sitôt qu’il apprend cette mésaventure, Brantôme entre en fureur ; il maudit sa fortune, renie son Dieu et son roi. Il avait, pendue à la ceinture, la clef dorée de la chambre du roi; il la jette, du gué des Augustins où il était, dans la rivière, en bas. Ce n’est rien qu’une clé perdue : faute de la retrouver on la remplace. Ceci est plus grave. Brantôme prend la résolution de vendre les biens qu’il possède en France et de s’en aller servir ce grand roi d’Espagne, très illustre et noble rémunérateur des services qu’on lui fait. « Il n’y avoit coste ny ville de mer que je ne sceusse, despuis la Picardie jusques à Bayonne, et du Languedoc jusqu’à Grâce en Provence. Et pour mieux m’esclaircir en mon faict j’avois de fraiz faict encor quelque nouvelle reveue par aucunes villes, feignant que j’y allois passer mon temps. Bref, j’avois si bien joué mon jeu que j’avois descouvert une demy-douzaine de villes de ces costes, fort prenables par des endroicts très faciles que je sçavois. » A quoi tiennent nos actions ! Brantôme était en passe de faire à sa patrie plus de mal que « jamais n’a faict renégat d’Alger à la sienne »[1]. Mais voici que les troubles de la Ligue commencent à s’émouvoir, personne ne veut plus acquérir de terres ni se dégarnir d’argent, et il n’est guère prudent de partir à l’étranger sans ressources. Surtout un événement décisif trancha la question. Le cheval de Brantôme en se cabrant vilainement renversa son maître, lui « brisa et fracassa tous les raings. » Condamné à demeurer au lit pendant quatre ans, notre gentilhomme s’avise, par manière de passe-temps, de mettre la main à la plume et faire revue de sa vie passée. « Ainsy faict le laboureur qui chante quelquefois pour alléger son labeur; et ainsy le voiageur faict des discours en soy pour se soustenir en chemin; ainsy faict le soldat étant en guarde, à la pluie et au vent, qu’il songe en ses amours et advantures de guerre, pour autant se contenter[2]. » Heureux accident en somme et dont Brantôme, qui croit à l’intervention de Dieu dans les affaires humaines, n’a pu méconnaître le caractère providentiel. Sans cette opportune chute de cheval il nous manquerait sur les choses et les gens du XVIe siècle nombre de détails qui ne se trouvent pas ailleurs que dans ces précieux écrits. Mais surtout les amateurs de littérature scandaleuse auraient été privés de cette riche collection d’anecdotes saugrenues, qui seraient restées ignorées, si un historien
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