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ne s’était rencontré pour les fixer sur le papier, les protéger contre l’oubli et en léguer le trésor à la postérité la plus reculée.

Car ce ne sont pas ses aventures de guerre que Brantôme s’est d’abord avisé de retracer. Et s’il est vrai que ce qui pousse chacun de nous à écrire, c’est le besoin d’amener au jour et d’exprimer le fond de son âme, le cas de Brantôme est significatif. Avant de traiter des capitaines tant Français qu’étrangers et des « couronnels » français, il a dû composer ses deux livres « des dames » ; ce n’est pas seulement par manière de courtoisie et pour se conformer aux bienséances. Avant de passer à tout autre sujet, et pour se faire l’esprit libre et net, il a dû se débarrasser des images bizarres qui encombraient son cerveau ; il est prodigieux de voir combien il lui en a fallu « desbagouler ». Et voilà pourquoi Brantôme est devenu écrivain. Cela, chez lui, est essentiel ; c’est le trait caractéristique ; c’est le fond de sa nature, mais c’est aussi bien le fond du tempérament gaulois. Depuis les origines les plus lointaines, pendant tout le moyen âge et tout le XVIe siècle, il coule à travers notre littérature un flot bourbeux. L’obscénité nous plaît ; et non seulement elle nous apporte on ne sait quel obscur et ignoble contentement, mais elle nous paraît amusante, divertissante et gaie. On trouve ça drôle. Les fabliaux sont des « contes à rire. » Tel est aussi le tour d’esprit. de Brantôme. Il sait des « contes de dames » ; il les dit avec verve et belle humeur; c’est un des moyens qu’il a de se faire bien venir à la cour, une spécialité dont il se vante. Supposons Brantôme à la cour de Louis XI. On n’a pas de peine à imaginer de quels contes il eût régalé ce « bon rompu. » Il n’est que de lui prêter quelques-uns de ceux qui remplissent le recueil des Cent Nouvelles ou encore de puiser pour lui dans le vaste cycle des drôleries de jadis. Artisans et bourgeois égrillards, maris trompés, joyeuses commères, chambrières délurées, nonnes et cordeliers, tel est le personnel qui défraie le vieux répertoire gaulois. Mais les temps sont changés, et Brantôme comprend que ce qui était bon pour l’entourage grossier des anciens rois ne saurait convenir à une cour où le ton est donné par les dames.

Cette cour où il a passé trente-trois années de sa vie, qui est la patrie de son imagination et le paradis de ses rêves, Brantôme ne cesse pas de la célébrer et il se dépite de ne pas trouver de termes assez vifs pour exprimer l’éblouissement qu’elle lui cause. Il fait remonter jusqu’à Anne de Bretagne l’honneur d’avoir introduit les dames à la cour. Puis François Ier « considérant que toute la décoration d’une court estoit des dames, l’en voulut peupler plus que de la coustune ancienne. »