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vraisemblable qu’elle dut être chargée de dire ce vers. Ainsi le succès de la représentation n’était pas compromis, et son désir enfantin était satisfait : elle avait joué un rôle dans Esther.


IV

Pendant que la future duchesse de Bourgogne menait cette existence où les divertissemens tenaient en somme plus de place que l’étude, il n’en était pas ainsi de celui qui devait être bientôt son époux. Sauf les visites qu’il était autorisé deux fois par mois à rendre à la Princesse, rien n’était changé dans sa vie extérieure, et il demeurait encore sous l’autorité étroite de son gouverneur le duc de Beauvilliers. Mais un grand changement était survenu dans sa vie morale. Il avait été définitivement séparé de Fénelon.

Par une contradiction singulière, l’époque où Fénelon donnait au duc de Bourgogne l’éducation si heureuse, si habile, et, au point de vue de la direction religieuse, si saine que nous avons vue, était précisément celle où il nouait avec Mme Guyon cette relation étrange qui devait avoir sur sa vie entière un si fâcheux contre-coup, et où il s’engageait à sa suite dans cette aventure théologique qui devait compromettre son autorité et un peu son caractère. Ce fut quelques mois avant sa nomination comme précepteur des enfans de France qu’il vit pour la première fois Mme Guyon. « Il me semble, a-t-elle écrit plus tard dans sa Vie, que mon âme a un rapport entier avec la sienne, et ces paroles de David pour Jonathas que son âme étoit collée à celle de David, me paroissoient propres à cette union[1]. » Pendant qu’il corrigeait les thèmes ou les versions du duc de Bourgogne et que, sous le couvert d’agréables fictions, il lui donnait de judicieux et salutaires enseignemens, il composait, sous l’influence de Mme Guyon, ces petits écrits mystiques, d’une spiritualité inquiétante, qui, circulant de mains en mains à Saint-Cyr, portaient le trouble dans les âmes, et qu’il devint bientôt nécessaire d’arracher aux mains des religieuses. Pendant qu’il écrivait Télémaque, et qu’il mettait son élève en garde contre les séductions de Calypso et d’Eucharis, il prenait part à ces conférences d’Issy, où il disputait avec Bossuet sur la doctrine du pur

  1. Vie de Mme de la Mothe-Guyon, écrite par elle-même ; Cologne, 1720, IIIe partie, p. 102.