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amour, et il adhérait « par déférence plus que par persuasion », à la condamnation de certaines propositions un peu malsaines qui devaient cependant plus tard se retrouver en partie sous sa plume. Bien que toutes ces choses ne fussent point publiques et demeurassent encore dans l’ombre, cependant les complaisances de Fénelon pour la nouvelle doctrine n’étaient point un mystère, et ne laissaient pas de le rendre un peu suspect dans le monde des théologiens. Peu s’en fallut qu’à l’instigation de l’archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, qui ne l’aimait pas, la Sorbonne ne mît en discussion comme cas de conscience la question de savoir « si un prince pouvait souffrir auprès de ses enfans un précepteur soupçonné de quiétisme[1] ». Le coup fut évité, mais une certaine défaveur dont il était déjà l’objet ne fut peut-être pas sans influence sur sa brusque nomination à l’archevêché de Cambray.

Certes, en apparence, cette nomination n’avait rien qui sentît la disgrâce. Cet archevêché tout nouveau, — car il n’y avait pas longtemps que les provinces composant le diocèse de Cambray étaient réunies à la France, — jouissait d’un revenu de cent mille livres. Le titulaire avait droit au titre de duc. Un simple abbé, fût-il de bonne maison et précepteur des enfans de France, n’avait pas le droit de se plaindre de débuter ainsi dans l’épiscopat. Cependant ceux et surtout celles qui portaient à Fénelon un intérêt passionné espéraient mieux pour lui. « Cambray, dit Saint-Simon, fut un coup de foudre pour tout ce petit troupeau. Il voyoit l’archevêque de Paris menacer ruine, c’étoit Paris qu’ils vouloient tous, et non Cambray qu’ils considérèrent avec mépris comme un diocèse de campagne dont la résidence, qui ne se pourroit éviter de temps en temps, les priveroit de leur pasteur. Leur douleur fut donc profonde de ce que le reste du monde considéra comme une fortune éclatante, et la comtesse de Guiche en fut outrée jusqu’à n’en pouvoir cacher ses larmes[2] ».

Fénelon ne s’y trompa pas davantage. Cette nomination ne le séparait pas seulement d’un élève chéri. En le reléguant parmi les Belges, extremi hominum, disait-il en plaisantant, elle l’éloignait de la Cour dans un moment où il ne pouvait pas lui échapper que son crédit était ébranlé et que, suivant une

  1. Phelipeaux, Relation du quiétisme, t. I, p. 57. Voir Crouslé : Fénelon et Bossuet.
  2. Saint-Simon, édition Boislisle, t. II, p. 345.