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ainsi que Godefroy et Caroline. Je vois par ta dernière lettre que certains raisonnemens avaient changé ta manière de voir sur cette expédition... Je ne connais aucune raison pour qu’un officier ne saisisse pas avec empressement toute occasion de faire la guerre. Écris-moi, je t’en prie, et surtout ne le fais pas avec la disposition de découragement où tu étais en m’écrivant ta dernière lettre.

Je vous embrasse encore, et suis bien joyeusement ton fils soumis et affectionné.


Eugène Cavaignac à sa mère.


24 septembre 1828, au camp sous Navarin.


Ma très chère mère,

Avant de te conduire à Navarin, il faut te faire débarquer dans le golfe de Coron où t’a laissée la lettre que je t’ai écrite à bord de la Cybèle. — La division a pris position sur la plage de Petalidi, ancien village dont nous n’avons pu découvrir aucune trace, et à l’emplacement duquel on ne trouve plus que de misérables cahutes en branches, habitées par des fabricans de tuiles, qui servent je ne sais trop à quoi ; car on est là à quatre lieues de toute habitation. Nous avons passé fort paisiblement une quinzaine de jours, et l’uniformité de notre nouvelle vie n’a été rompue que par quelques parades, destinées à amuser M. de Ribeaupierre[1] et le général grec Nikétas. Du reste, — et à cela près que nous étions à la belle étoile et couchés sur la dure, — nous paraissions tous nous regarder comme en France, et à mille lieues de tout ennemi ; et, en effet, je t’assure que tes inquiétudes maternelles ne reposent sur aucune probabilité sérieuse, et que c’est presque en riant que nous prononçons le mot de campagne. Le départ d’une portion de la brigade Sébastiani[2], chargée d’investir Coron et de sommer la place, avait un moment ranimé nos espérances et rendu un peu de moral à la division. Malheureusement pour nous, messieurs les diplomates sont venus se mêler de la chose, s’opposant à toute démonstration hostile, et notre général[3] — qui nous rappelle un peu cet honnête homme

  1. L’ambassadeur russe.
  2. La première brigade était commandée par le général Tiburce Sébastiani, frère du général (plus tard maréchal) comte Sébastiani, ancien ambassadeur en Turquie.
  3. Le général Maison.